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VOLTAIRE PHILOSOPHE

celle d’un aristocrate pour les misérables, elle est celle d’un « honnête homme » pour des ignorants fanatisés.

Ces ignorants, il faudrait les instruire. Mais quelquefois, dans un accès d’humeur, Voltaire les déclare indignes et incapables d’être instruits. Si la raison, écrit-il à d’Alembert, doit triompher chez les honnêtes gens, « la canaille n’est pas faite pour elle » (4 févr. 1757). Et à Frédéric : « Votre Majesté rendra un service éternel au genre humain en détruisant cette infâme superstition, je ne dis pas chez la canaille, qui n’est pas digne d’être éclairée, je dis chez les honnêtes gens, chez les hommes qui pensent, chez ceux qui veulent penser » (5 janv. 1767)[1]. D’autre part, sous l’influence d’idées généralement répandues, Voltaire, au point de vue économique et social, pouvait considérer l’instruction populaire comme nuisible. C’est dans ce sens qu’il félicite La

    des partisans, et peut-être parce qu’elle était improbable. La rumeur de la populace augmenta de moment en moment selon l’ordinaire ; le cri devint si violent, que le magistrat fut obligé d’agir » (XLVI, 548).
    Cf. encore l’: « Il n’y a qu’à voir la populace imbécile d’une ville de province dans laquelle il y a deux couvents de moines, quelques magistrats éclairés et un commandant qui a du bon sens, Le peuple est toujours prêt à s’attrouper autour des cordeliers et des capucins. Le commandant veut les contenir. Le magistrat, fâché contre le commandant, rend un arrêt qui ménage un peu l’insolence des moines et la crédulité du peuple » (XLV, 55).

  1. Cf. Lettre à Damilaville, 19 mars 1766 : « Il est à propos que le peuple soit guidé et non pas qu’il soit instruit. Il n’est pas digne de l’être. » — Lettre à d’Alembert, 4 juin 1767 : « À l’égard de la canaille, je ne m’en mêle pas ; elle restera toujours canaille. » — Dict. phil., Blé : « Distingue toujours les honnêtes gens qui pensent de la populace qui n’est pas faite pour penser » (XXVII, 397).