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POLITIQUE

quelque puissant astrologue apprenait aux paysans et aux bons bourgeois des petites villes qu’on peut, sans rien risquer, se couper les ongles quand on veut, pourvu que ce soit dans une bonne intention ? » (XXXIX, 609).

Reste à savoir si le peuple est capable de s’instruire. Mais pourquoi pas ? Dans sa lettre à Damilaville du 13 avril 1766, Voltaire explique[1] qu’on doit commencer par faire l’éducation des principaux citoyens. La lumière, dit-il, descendra peu à peu. Et, s’il ajoute que celle du bas peuple sera toujours fort confuse, sachons d’abord ce qu’il appelle le bas peuple. Voici par exemple une lettre à Linguet du 15 mars 1767 où il distingue les artisans plus relevés des simples manœuvres. Tandis que les uns vont de la grand’-messe au cabaret, les autres sont désireux de s’instruire. Ne les voit-il pas, en Suisse, consacrer à la lecture le temps qui leur reste après le travail ? Et il conclut que « tout est perdu », non pas, comme certains le disaient, comme on le lui a fait dire à lui-même, quand on éclaire le peuple, mais quand on le laisse dans l’ignorance[2].

Souvent même, Voltaire dit en termes exprès qu’on doit répandre la raison jusque dans les classes les plus pauvres et les plus grossières. Il recommande aux philosophes d’écrire des brochures simples, courtes, facilement intelligibles, pour éclairer le cordonnier aussi bien que le chancelier[3]. Dans l’ar-

  1. En revenant sur celle du 1er avril, précédemment citée.
  2. « Non, monsieur, tout n’est point perdu quand on met le peuple en état de s’apercevoir qu’il a un esprit. Tout est perdu au contraire quand on le traite comme une troupe de taureaux ; car, tôt ou tard, ils vous frappent de leurs cornes. »
  3. Lettre à Helvétius, 2 juill. 1763.