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VOLTAIRE PHILOSOPHE

marque aussi dans l’étude des peuples moins prompts à se transformer. « Les Espagnols d’aujourd’hui, dit-il par exemple, ne sont plus les Espagnols de Charles-Quint… ; les Anglais ne ressemblent pas plus aux fanatiques de Cromwell que les moines et les monsignori dont Rome est peuplée ne ressemblent aux Scipions » (Disc. sur l’Hist. de Charles XII, XXIV, 17). Et citons surtout l’Avant-propos de l’Histoire du Parlement ; il y développe cette idée capitale qu’aucun corps ne reste immuable, que tout change d’un bout à l’autre de la terre, que la science historique est celle des changements[1].

Or l’évolution du genre humain, selon Voltaire, a le progrès pour loi. Comparons les temps et plaignons-nous, si nous l’osons, c’est « une réflexion qu’on doit faire presque à chaque page », écrit-il dans l’Essai sur les Mœurs (XVI, 411) ; et il l’y fait très souvent[2]. Sans doute les lettres et les arts peuvent

  1. XXII, 4 sqq. Cf. encore l’Éloge de la Raison, XXXIV, 323 sqq. — Augustin Thierry, dans ses Lettres sur l’Histoire de France, signale chez les historiens précédents un « goût de l’uniformité » qui « fausse tout » en effaçant les différences caractéristiques des races et des siècles. « Le grand précepte qu’il faut donner, dit-il, c’est de distinguer au lieu de confondre. » Et ce précepte est sans doute excellent. Mais Voltaire ne mérite point le reproche que Thierry adresse justement à tant d’autres historiens. Le sens historique, chez lui, se marque jusque dans son théâtre ; car, si nous ne pouvons prendre au grand sérieux le casque doré d’Aménaïde ou certain bonnet de Zulime, plus ou moins moresque, la grande nouveauté, la nouveauté vraiment significative du théâtre de Voltaire consiste pourtant à y avoir introduit ce qui s’appela par la suite la couleur locale.
  2. Cf. Dict. phil., Gouvernement : « Un provincial de ce pays… se plaignait amèrement de toutes les vexations qu’il éprouvait. Il savait assez bien l’histoire ; on lui demanda s’il se serait cru plus heureux il y a cent ans, lorsque, dans son pays alors barbare, on condamnait un citoyen à être pendu pour avoir mangé