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VOLTAIRE PHILOSOPHE

Cette foi de Voltaire dans le progrès devait en faire un novateur. Il n’est pas révolutionnaire comme Jean-Jacques ; il est beaucoup plus réformiste que Montesquieu.

Rousseau procède géométriquement ; il reconstruit la société sans tenir compte de l’histoire et de la tradition. Après avoir reconnu que « différents gouvernements peuvent être bons à divers peuples et au même peuple en différents temps », il établit les principes qui, par delà ces différences, expriment la raison universelle et abstraite, Voltaire, lui, s’est toujours défendu de prescrire une formule idéale : appliquant à la politique sa méthode positive, il ne veut qu’amender le régime contemporain. Aucun régime, il le sait, n’est parfaitement bon[1]. Et puisque, de tout temps, « les abus gouvernent les États » (Dict. phil., Abus, XXVI, 69), il se borne à poursuivre la réformation des abus les plus intolérables, de ceux qui peuvent être supprimés sans trop de secousses. Dans l’Éloge historique de la Raison, il nous montre cette déesse parcourant, avec la Vérité, sa fille, les divers pays de France. La Vérité, comme elle entend partout les Français applaudir à l’avènement de Louis XVI et se promettre une multitude de réformes, manifeste hautement sa joie. Mais la Raison lui dit : « Ma fille, vous sentez bien que je désire à peu près les mêmes choses et bien d’autres. Tout cela demande du temps et de la réflexion. J’ai toujours été très contente quand, dans mes chagrins, j’ai obtenu une partie des soulagements que je voulais » (XXXIV, 335). Cette Raison, que Voltaire fait parler ainsi, n’est point la

  1. Cf. Dict. phil., Gouvernement, XXX, 96.