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POLITIQUE

raison abstraite de Rousseau ; c’est la raison d’un philosophe pratique et modéré, qui reste dans le domaine du possible, qui compte avec les intérêts et les passions des hommes, qui sait combien la réalité diffère de l’idéal.

Mais si Voltaire ne fait pas, comme Rousseau, table rase, il n’est pas non plus un conservateur à la façon de Montesquieu[1]. Montesquieu, bien que demandant lui aussi maintes réformes, surtout dans la législation, a le tempérament d’un traditionaliste. Son œuvre s’inspire du respect des choses établies. « Il est quelquefois nécessaire, dit-il, de changer certaines lois. Mais le cas est rare, et, lorsqu’il arrive, il n’y faut toucher que d’une main tremblante ; on doit y observer tant de solennités et apporter tant de précautions, que le peuple en conclue naturellement que les lois sont bien saintes, puisqu’il faut tant de formalités pour les abroger ». Sans légitimer théoriquement « ce qui est », Montesquieu le montre comme résultant de certaines influences contre lesquelles on ne réagit qu’à la longue, et nous engage à nous y résigner. Voltaire, beaucoup plus actif, est aussi beaucoup plus hardi. Au lieu que Montesquieu recommande l’esprit de conservation, il préconise l’esprit d’innovation. « Peut-être, écrit-il, ce goût universel pour la nouveauté est un bienfait de la nature. On nous crie : Contentez-vous de ce que vous avez, ne désirez rien au delà de votre état… Ce sont de très bonnes maximes. Mais, si nous les avions toujours suivies, nous mangerions encore du gland »

  1. Rien de plus faux que la formule si souvent répétée : « Voltaire est un conservateur en tout sauf en religion. »