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POLITIQUE

Quant à la vénalité des charges judiciaires, c’est un des points qui lui tiennent le plus au cœur, et il y revient sans cesse. Dans Le Monde comme il va, Babouc voit un magistrat de vingt-cinq ans charger un vieil avocat, fameux par sa science, de faire pour lui l’extrait d’un procès qu’il doit juger le lendemain. Comment n’est-ce pas le vieil avocat qui rend la justice au lieu du jeune satrape ? Babouc en marque sa surprise ; et, quand on lui explique que ce dernier a acheté sa charge : « Ô mœurs, s’écrie-t-il, à malheureuse ville, voilà le comble du désordre ! » (XXXIII, 11). Dira-t-on que l’avocat examinerait les affaires en praticien formaliste et que le satrape se décidera d’après les lumières du bon sens[1] ? Celui qui achète un office judiciaire peut avoir aussi peu de bon sens que de pratique. Et sans doute la vénalité des charges est préférable à celle des juges. Mais n’existe-t-il pas quelque autre moyen d’assurer une justice intègre ?

Montesquieu avait approuvé cette institution, qui, disait-il, fait faire comme un métier de famille ce qu’on ne voudrait pas entreprendre pour la vertu. Voilà bien, remarque Voltaire, les préjugés d’un président à mortier ; et il flétrit des « lignes honteuses » qui « déshonorent » l’Esprit des Lois. Les juges

    lui, c’étaient les habitants de Toulouse et ceux d’Abbeville qui, dans ces deux affaires, avaient imposé aux juges leur sentence (E. Faguet, Politique comparée, etc., p.155, 156). Mais il ne demandait pas qu’on fit juré le premier venu ; or, c’est à la « populace » de ces deux villes qu’il attribue la pression opérée sur les juges. Cf. par exemple Traité sur la Tolérance, XLI, 235 : « Les juges de Toulouse, entraînés par le fanatisme de la populace, ont fait rouer », etc. — Relation de la mort de La Barre, XLII, 366 : « Vous connaissez, Monsieur, à quel excès la populace porte la crédulité et le fanatisme ».

  1. Cf. la suite du Monde comme il va, p. 21.