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VOLTAIRE PHILOSOPHE

N’est-ce pas un véritable guet-apens[1] ? Les témoins eux-mêmes sont interrogés en secret ; un seul juge avec son greffier les entend l’un après l’autre, et, comme la plupart sont de pauvres gens, les fait parler à son gré. Leur premier interrogatoire est suivi du récolement. Si, après le récolement, ils se rétractent ou modifient leurs dépositions, on les condamne pour faux témoignage. De la sorte, « lorsqu’un homme d’un esprit simple et ne sachant pas s’exprimer ; mais ayant le cœur droit et se souvenant qu’il en a dit trop ou trop peu, qu’il a mal entendu le juge ou que le juge l’a mal entendu, révoque par esprit de justice ce qu’il a dit par imprudence, il est puni comme un scélérat ; ainsi il est forcé souvent de soutenir un faux témoignage par la seule crainte d’être traité en faux témoin » (Dict. phil., Criminel, XXVIII, 242). À cette procédure, Voltaire oppose celle de l’ancienne Rome, celle de l’Angleterre. Ce qu’il veut, c’est que le procès ait pour objet, non la condamnation d’un prévenu, qui peut être innocent, mais la manifestation de la vérité[2].

Il s’élève aussi contre l’usage de condamner sur des probabilités plus ou moins nombreuses. Les tribunaux, de son temps, admettaient des quarts et des huitièmes de preuve, si bien que huit rumeurs suspectes, en les additionnant l’une avec l’autre, comptaient pour une preuve entière ; c’est d’après ce principe que le Parlement de Toulouse condamna Calas. Par quels arguments a-t-on pu légitimer une si odieuse pratique ? Les juges, déclare Voltaire, sont

  1. Commentaire sur le Livre des délits, XLII, 473 sqq. ; Prix de la Justice et de l’Humanité, L. 326.
  2. Dict. phil., Criminel, XXVIII, 238, sqq. ; Prix de la Justice et de l’Humanité, L, 326; etc.