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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/147

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il quitta le monde et commença à écrire son livre de morale. Jamais personne plus que lui, à ce moment, ne fut éloigné de l’impassibilité et de l’impartialité. Ce sont qualités au reste dont il ne se pique pas alors. Loin de dissimuler ses rancunes et ses colères, il les proclame ; elles ne se décèlent pas, elles éclatent avec violence. C’est à cette heure qu’il écrit quelques-unes de ces paroles « atroces et corrosives, comme dit Sainte-Beuve, et qui brûlent en quelque sorte le papier[1] ». Sa haine du monde s’affirme avec rage, et nulle hyperbole ne lui paraît assez forte pour la rendre. « Qu’est-ce, dit-il, que la société, quand la raison n’en forme pas les nœuds ?… Une foire, un tripot, une auberge, un bois, un mauvais lieu et des petites maisons[2] ». Il arrive même, lorsqu’il n’a à faire qu’à des ridicules qui, vraiment, ne méritent pas de provoquer l’indignation, que, dans son humeur, il grossisse la voix plus qu’il ne convient à un homme de tant d’esprit : « On donne, dira-t-il, par exemple, des repas de dix louis ou de vingt à des gens en faveur de chacun desquels on ne donnerait pas un petit écu pour qu’ils fissent une bonne digestion de ce même dîner de vingt louis[3] ». Imagine-t-on un amphitryon se préoccupant de favoriser de ses deniers la bonne digestion de ses invités ? Et le trait du satirique n’est-il pas ici plus ridicule que ceux qu’il prétend atteindre ?

  1. Causeries du lundi, IV, 556.
  2. Ed. Auguis, I, 373.
  3. Ed. Auguis, I, 377.