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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/166

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CHAMFORT

gueil se sont emparés des rapines de l’avarice, et que l’union du pouvoir et de l’argent a réuni contre le peuple la dureté du conquérant barbare et l’avide industrie du concussionnaire. Il m’est impossible de révérer le résultat et le produit de ce noble mélange. Je doute de temps en temps que ce soit là ce qu’il y a de plus respectable sur la terre ; et, en voyant que c’est au moins ce qu’il y a de plus respecté, je prends quelquefois pitié du genre humain[1]. »

Loin de penser que l’hérédité puisse avoir la valeur d’un principe social, il dit bien haut qu’elle rend impossible toute morale politique :

« Ces idées ont quelque chose de dur et de triste, diront les écrivains à la mode avec la grâce aimable et facile de leur esprit. Il ne s’agit pas de savoir si elles sont dures, mais si elles sont justes, raisonnables et honnêtes. Pour moi, je trouve que, si on les rejette, la morale porte sur des bases conventionnelles ; et surtout je ne sais plus ce que devient la morale politique. Il me semble que, ces idées une fois repoussées, la morale est beaucoup moins applicable à la politique que les mathématiques ne le sont à la médecine ; et le vœu des honnêtes gens, des vrais amis du genre humain serait que la morale fût appliquée à la science du gouvernement avec le même succès que l’algèbre l’a été à la géométrie. C’est un rêve, dira-t-on. D’abord je suis loin de le croire ; mais si c’est un rêve, qu’on ne me parle donc plus de morale, qu’on pose hardiment le fait pour le droit. En un mot, qu’on m’enchaîne sans m’ennuyer et sans insulter ma raison[2]. »

Autant que ces considérations historiques et morales, ce qui condamne, aux yeux de Chamfort, le préjugé de la noblesse héréditaire, c’est qu’il est

  1. Considérations sur l’Ordre de Cincinnatus, p. 20 (Londres, 1783). Cfr. Ed. Auguis, I, 436.
  2. Considérations sur l’Ordre de Cincinnatus, p. 21.