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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/176

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CHAMFORT

de Rivarol, qui y répondit par deux Lettres sur la religion et la morale. Mais le succès de cet ouvrage était dû surtout à la curiosité qu’excitait la personne de Necker, qui venait de quitter le pouvoir :

« Vous vous plaignez, Monsieur, vers la fin de votre ouvrage de ce qu’on affecte aujourd’hui de ne plus parler de religion dans la société… Ces questions ont fatigué le monde. Il n’y a que quelques jeunes gens, vexés par des pratiques minutieuses de dévotion, qui s’en vengent par des propos au sortir du collège ; mais l’expérience leur apprend bientôt que si l’homme est une trop chétive créature pour offenser l’Être Suprême, il n’en est pas moins vrai que les irrévérences sont des crimes envers la société ; qu’il ne faut ni blesser les dévots, ni ennuyer les gens d’esprit ; et qu’en tout il est plus plaisant de parler de ce monde que de l’autre[1]. »

Et Rivarol parle juste : la polémique religieuse est alors comme épuisée ; on en a été excédé. L’école philosophique a vidé son carquois. Chamfort pouvait-il songer à ramasser à terre des traits lancés depuis longtemps ? Remarquons, d’autre part, que vers ce temps, le haut clergé, c’est-à-dire le seul qui compte (car le bas clergé se confond dans le peuple et s’y perd), se recrute exclusivement, ou à peu près, dans la noblesse. En même temps que M. de Ségur rendait ses fameuses ordonnances sur le recrutement des officiers, l’on décida secrètement qu’à l’avenir « tous les biens ecclésiastiques, depuis le plus modeste prieuré jusqu’à la plus riche abbaye, seront réservés à la noblesse[2]. » Nobles et prêtres, c’est donc tout un ; et si Chamfort eût

  1. Rivarol, Œuvres, tome II, p. 121 (Paris, Léopold Collin, 1808).
  2. Cité par Taine dans l’Ancien Régime.