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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/198

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CHAMFORT

au collège pour nous encourager à avoir les prix. Ce que l’on dit aux enfants pour les engager à préférer à une tartelette les louanges de leurs bonnes, c’est ce qu’on répète aux hommes pour leur faire préférer à un intérêt personnel les éloges de leurs contemporains ou de la postérité[1]. »

Donc ne cédons jamais aux inclinations ou aux impulsions de notre sensibilité ; paralysons certains côtés de notre âme ; que notre cœur se bronze : ainsi nous serons sûrs de n’être point dupes, sûrs aussi de n’être pas victimes. Car rien ne pourra troubler notre repos. Et si l’on s’en tenait à certains passages de Chamfort, il n’aurait pas eu de visée plus haute, pas de désir plus cher. « Il est résulté, écrivait-il un jour, de ces expériences réitérées cent fois (l’expérience des passions), que… je suis devenu comme immobile, et que ma position actuelle me paraît toujours la meilleure, parce que sa bonté même résulte de son immobilité et s’accroît avec elle[2]. » Il aurait ainsi pratiqué pour son compte et conseillé aux autres cette apathie des épicuriens, qui est à elle-même son propre but et qui n’est qu’une forme un peu relevée de la sagesse utilitaire.

N’être point trompé par les ruses et les hypocrisies, n’être point troublé par les vaines agitations du monde, telle doit être en effet, à son gré, la première préoccupation du sage. « Je ne conçois pas, dit-il, de sagesse sans défiance. » Après l’expérience qu’il avait faite, c’est bien le premier mot qu’il

  1. Ed. Auguis, I, 356.
  2. Ed. Auguis, II, 56.