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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/199

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devait dire ; mais ce n’est point le dernier. Il a beaucoup moins souci, tout compte fait, de la sécurité et de la tranquillité de son existence que de la dignité de son âme. Sottise, pense-t-il, que se laisser duper ; mais lâcheté, se laisser asservir. En observateur avisé et trop éclairé, il songe d’abord à se préserver des déceptions ; mais, énergique et fier, il veut surtout se soustraire à tous les jougs. Lorsqu’en se traçant son plan de conduite, il se met en garde contre l’amour, l’amitié, l’ambition et, en général, contre les inclinations sociales, il craint moins les mauvais marchés qu’elles font faire que les servitudes où elles engagent. — Être l’obligé, l’ami de quelqu’un, n’est-ce pas lui donner des droits sur notre âme ? Les tromperies de l’amour ne sont-elles pas moins cruelles que sa tyrannie n’est avilissante « Quelques hommes avaient ce qu’il faut pour s’élever au-dessus des misérables considérations qui rabaissent les hommes au-dessous de leur mérite ; mais le mariage, les liaisons de femme les ont mis au niveau de ceux qui n’approchaient pas d’eux[1]. » — Il est bon de s’interdire le désir de la fortune ; on évite ainsi de s’imposer bien des soins et bien des charges ; mais surtout on échappe aux sujétions qu’elle crée toujours. « L’homme pauvre, mais indépendant des hommes, n’est qu’aux ordres de la nécessité. L’homme riche, mais dépendant, est aux ordres d’un autre homme ou de plusieurs[2]. » Quant aux honneurs, quant à ce qu’on appelle un état dans le monde, qu’on le tienne de

  1. Ed. Auguis, I, 421.
  2. Ed. Auguis, I, 358.