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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/242

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CHAMFORT

Lui, au contraire, il met une singulière vivacité à dépouiller le grand roi de sa « gloire mensongère payée des larmes et du sang de ses peuples ». C’est qu’il sait que cette gloire a rejailli sur la fonction royale, et qu’il souhaite de voir se dissiper promptement cette illusion de la foi monarchique qui naguère « laissait… la France avec ses disgrâces, sa misère et son avilissement, livrée à des arts agréables ou à des goûts futiles…, abandonnée à tous les hasards d’un avenir incertain, et aux caprices d’un despotisme qu’elle avait déifié soixante ans, dans la personne du prince qui en avait le plus longtemps et le plus constamment abusé[1]. » — Et lorsque des gens de lettres, amis de Chamfort, tentaient de désarmer son zèle antimonarchique, en lui représentant tout ce que la littérature devait à la protection de nos rois, il n’était pas convaincu par cet argument et persistait à penser qu’acheter « de belles tragédies, de bonnes comédies, au prix de tous les maux qui suivent l’esclavage civil et politique, c’est payer un peu cher sa place au spectacle[2] ».

Très intimement lié avec Mirabeau, grand admirateur de son talent, il le loue et l’exalte toutes les fois que le tribun propose des mesures propres à affaiblir le pouvoir exécutif. Mais dans une occasion solennelle, Mirabeau, déjà gagné sans doute au parti de la cour, prit la parole dans la discussion sur le Droit de paix et de guerre, et présenta un projet de décret rédigé de telle façon que le

  1. Ed. Auguis, III, 70.
  2. Ed. Auguis, III, 76.