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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/50

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vieuse ! » Nous pensons que c’est trop dire ; mais on ne peut, en tout cas, nier son amertume et sa causticité. Si l’on veut le juger en toute justice, n’importe-t-il pas de se demander si cette causticité et cette amertume étaient en germe dans son âme, s’il les tenait de son propre fond, ou si c’est, au contraire, à l’école de la vie qu’il prit des leçons de désenchantement ?

Cette question ne saurait se résoudre très aisément. Les mémoires et les correspondances parlent peu alors de Chamfort dont la notoriété est toute fraîche et encore assez restreinte ; les confidences qu’il a faites plus tard ne se rapportent guère qu’à l’époque où il avait atteint la quarantaine. Il nous faut pourtant essayer, en ajoutant quelques traits à ceux que nous avons notés au passage, de saisir ce qu’aux heures de la jeunesse il y eut d’essentiel dans sa conduite et dans sa physionomie morale.

Homme de plaisir, à une époque d’extrême livence, il eut du moins cette excuse à son dérèglement, qu’il s’y livra avec une sorte de bonne foi. Plus tard, une femme lui dit, un jour, ce mot curieux : « Je n’aime pas les gens d’esprit en amour : ils se regardent passer[1] ». Elle entendait qu’ils ne perdent jamais la tête, qu’ils ne s’oublient pas. Lui, s’oubliait à cette heure. Il payait de sa personne sans ménagement et sans calcul. Point de calcul de bas intérêt ; et des calculs de ce genre étaient trop peu rares ; point de calcul d’ambition,

  1. J’emprunte ce mot à quelques pensées inédites de Chamfort qui m’ont été gracieusement communiquées par M. Charavay.