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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/53

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de flatterie à leur adresse. Les coteries s’ouvrent sans peine aux gens pressés d’arriver ; grâce à elles, on travaille commodément à détruire ses rivaux ; Chamfort fuit les coteries, au lieu de s’y engager. Après le succès de la Jeune Indienne, il est, nous dit Sélis, recherché « par ce qu’on appelait alors le parti philosophique ». Il se dérobe. Serait-ce qu’il compte sur des appuis dans le parti adverse ? Point. Car Fréron, c’est toujours Sélis qui l’atteste, « l’honora de ses mépris ». Avec sa verve de vingt-cinq ans, il est, à coup sûr, de ceux dont on peut dire qu’ils sont en état perpétuel d’épigramme contre leur prochain ; voit-on, lorsque son carquois est si bien garni, qu’il ait lancé quelques traits contre ses émules ? En aucune façon ; il n’est mêlé à aucune polémique. La Harpe est, dès ce temps, redouté et honni. « Je ne connais pas ce jeune homme, dit Grimm, pas même de figure. Il a du talent ; on dit généralement qu’il a encore plus de fatuité, et il faut qu’il en soit quelque chose, car il a une foule d’ennemis, et son talent n’est ni assez décidé, ni assez éminent pour lui en avoir attiré un si grand nombre[1]. » À ce moment on ne connaît pas d’ennemi littéraire à Chamfort.

Déjà son ambition, je crois bien, ne s’enfermait pas dans le domaine de la littérature. Depuis la mission de Voltaire près de Frédéric, beaucoup de gens de lettres espéraient être mêlés aux grandes affaires. Bernis n’était-il point arrivé au ministère ? et l’on savait qu’il devait sa fortune, non pas à sa mince noblesse, mais à ses vers qui n’étaient

  1. Correspondance de Grimm, VIII, 48-49.