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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/54

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pourtant que de bien petits vers. Pourquoi se fût-on interdit les vastes espoirs ? Grands seigneurs et monarques étrangers faisaient des avances flatteuses aux poètes et aux philosophes de la France ; ne semblait-il pas qu’en France leur heure fût tout près de venir ? Chamfort chercha donc à s’ouvrir un accès dans le monde, et il est vrai qu’il réussit à y plaire, sinon sans le vouloir, au moins sans s’y efforcer. Vers 1770, Grimm a tracé un portrait du Chamfort qu’on voyait alors dans les salons :

« M. de Chamfort, dit-il, est jeune, d’une jolie figure, ayant l’élégance recherchée de son âge et de son métier. Je ne le connais pas, mais s’il fallait deviner son caractère d’après sa petite comédie (le Marchand de Smyrne), je parierais qu’il est petit maître ; bon enfant au fond, mais vain, pétri de petits airs, de petites manières, … en un mot, de cette pâte mêlée dont il résulte des enfants de vingt à vingt-cinq ans, assez déplaisants, mais qui mûrissent cependant et qui deviennent, à l’âge de trente à quarante ans, des hommes de mérite[1]. »

Grimm, il est vrai, dit qu’il ne connaît point Chamfort ; mais soyez sûr que ce portrait n’est pas de pure invention : Grimm est de ceux qui se renseignent. Or ce petit maître, bon enfant, qu’il nous peint, ressemble-t-il en aucune façon à un ambitieux inquiet et morose ?

Orgueilleux ? Ah ! certes, il ne manqua pas d’orgueil, si, par orgueil, on entend qu’il eut le souci de ne rien laisser entreprendre sur son indépendance et sur sa dignité. Très jeune, avant

  1. Correspondance de Grimm. VIII, 448.