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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/56

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sans équivoque possible. Lui même n’a pas dissimulé sa fatuité après son premier succès littéraire. Mme de Genlis nous dit qu’il lui a paru très fat chez Mme de Roncé, et Diderot, si bienveillant pour les jeunes, témoigne dans le même sens : « C’est, dit-il (en 1767), un petit ballon dont une piqûre d’épingle fait sortir un vent violent[1]. » Mais l’orgueil qui fait de pareils éclats peut être désagréable ; il n’indique point une nature sèche, froide et mauvaise.

Au reste, des témoignages positifs assurent qu’il y avait dans l’âme de Chamfort des sentiments puisés aux sources les plus vives et les plus pures de la sensibilité. En passant, nous avons parlé des soins qu’il prit de sa mère. Il faut y insister, et dire qu’au milieu de ses désordres, au milieu de ses succès, ni ses secours ni sa tendresse ne manquèrent jamais à l’humble Thérèse Croiset. « J’applaudissais à sa piété vraiment filiale pour sa mère qu’il soulageait. Elle vieillit assez pour jouir des bienfaits d’un fils qui venait la chercher dans l’ombre, où il ne rentrait plus que pour elle [2]. » Les bons fils ne sont pas rares heureusement ; les bons camarades sont moins communs, et Chamfort fut bon camarade. Sa camaraderie allait volontiers jusqu’à l’amitié. Lié, dans sa jeunesse, avec Bret, qui collaborait au Journal Encyclopédique, il eut toute sorte d’égards pour ce compagnon plus âgé que lui, qu’il soigna dans sa dernière maladie et à qui il ferma les yeux. Au risque

  1. Diderot, Ed. Assezat, XI, 375.
  2. Chamfortiana, VII.