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Page:Pellisson - Chamfort, 1895.djvu/55

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d’être devenu méfiant, il sentit que, dans la société de son temps, c’étaient là des biens sur lesquels il fallait toujours veiller. Le monde lui plaisait, mais à la condition d’y être traité sur le pied d’égalité. Il était pauvre et plébéien ; il se gardait de l’oublier, mais n’eût pas toléré qu’on le lui rappelât, si l’on eût ainsi voulu lui faire entendre qu’il était inférieur. « Un homme de lettres, à qui un grand seigneur faisait sentir la supériorité de son rang, lui dit : « Monsieur le duc, je n’ignore pas ce que je dois savoir ; mais je sais aussi qu’il est plus aisé d’être au-dessus de moi qu’à côté [1]. » Voilà une réplique de Chamfort dans le monde et quelle attitude il y prenait. Attitude honorable, mais pas toujours aisée. « On s’apercevait à ses manières, nous dit Aubin, qu’il n’était pas né dans le grand monde ; il y était gauche, et crut remplacer ce défaut d’aisance en s’y mettant trop à son aise[2]. » Assurément c’est dans des sentiments de fierté qu’il puisait les principes de sa conduite « L’homme le plus modeste, en vivant dans le monde, doit, s’il est pauvre, avoir un maintien très assuré et une certaine aisance qui empêchent qu’on ne prenne quelque avantage sur lui. Il faut, dans ce cas, parer sa modestie de sa fierté[3] ». Mais, dans la pratique, il dut arriver que sa fierté dégénéra en orgueil.

Et d’ailleurs, reconnaissons-le sans difficulté, il ne fut pas exempt d’orgueil tout pur et tout simple,

  1. Éd. Auguis, II, 116.
  2. Chamfortiana, X et XI.
  3. Éd. Auguis, I, 396.