Page:Peluso – Souvenirs sur Jack London, paru dans Commune, 1934.djvu/10

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ou de quelque séquoia géant, mettait en position sa machine à écrire, laissait son cheval brouter librement et se mettait au travail.

Il avait comme règle de s’imposer une tâche quotidienne déterminée, qu’il accomplissait ponctuellement. Il esquissait à la hâte sur un bout de papier les points principaux qu’il entendait développer, puis, s’asseyant devant sa machine à écrire, ayant devant lui le merveilleux paysage californien, il tapait sur le clavier et donnait une forme définitive à sa pensée. Avant le crépuscule il reprenait le chemin du retour.

Il était aussi très hospitalier et sans cérémonies. Presque chaque soir à la même heure ses « invités permanents  » venaient s’asseoir à table pour participer à son frugal repas. Il avait fait une sélection parmi ses nombreuses connaissances et s’était créé un cercle intime qui lui servait de critique et de stimulant collectif. C’étaient des hommes et des femmes pris dans tous les domaines de l’activité sociale, politique et intellectuelle. Ils n’étaient certes pas tous de la même couleur politique, mais à eux tous pouvait s’appliquer l’étiquette de radical, qui alors aux États-Unis qualifiait quiconque s’élevait contre l’ordre établi. Parmi eux figuraient, par exemple, le secrétaire de la Section socialiste, un ouvrier fortement dévoué à la cause prolétarienne, mais timide et débonnaire ; ou encore, des journalistes bruyants, remuants, curieux et au courant de tout ; des critiques d’art sarcastiques ; des illustrateurs de magazines à l’œil fureteur ; des musiciens sentimentaux, des « social workers  » illusionnés. Chacun apportait sa note personnelle à la discussion dans cette espèce de commune littéraire, car malgré que tous fussent les hôtes de Jack London, grâce à son tact et à sa simplicité, chacun, mis à l’aise dès le premier jour, agissait et parlait comme s’il se trouvait chez soi.

Jack avait divorcé depuis peu de sa première femme. Il habitait seul avec sa mère, à laquelle il était fortement attaché non seulement par l’amour filial, mais également par ce lien qui unit deux êtres ayant passé ensemble à travers une vie de tempêtes.

La mère de Jack était aussi simple que son fils. C’était une prolétaire, petite de taille, aux cheveux coupés courts, à l’œil triste et fatigué, mais accueillante et aimable avec les amis de son fils.