Page:Peluso – Souvenirs sur Jack London, paru dans Commune, 1934.djvu/5

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orateurs se succédaient. Les jeunes propagandistes avaient ainsi l’occasion de faire leur travail pratique. À dire la vérité, leur bagage marxiste n’était pas lourd. Il n’y avait alors aucune école du parti et de Marx et d’Engels il n’y avait, en traduction anglaise, que bien peu de chose. La seule œuvre des grands maîtres que nous traduisîmes en commun, grâce à la bonne volonté d’un ancien, ce fut le Manifeste Communiste. Mais la guerre russo-japonaise nous offrait tout un champ de critique de la société capitaliste, surtout contre l’impérialisme américain, alors à peine naissant.

Nous avions sur la place publique, un sérieux concurrent. C’était cette grande mystificatrice des pays anglo-saxons qu’on appelle l’Armée du Salut. Elle possédait un orchestre bruyant et grâce à sa musique aux marches martiales elle réussissait à rassembler bien vite un nombreux auditoire. Parfois, il arrivait aussi que quelques-uns de nos auditeurs, qui nous écoutaient avec ennui, nous quittaient pour aller entendre les salutistes. Leur meeting commençait par le chant de quelque hymne ; après quoi chacun d’eux s’avançait au milieu du cercle pour faire sa profession de foi. Les hommes comme les femmes étaient habillés d’un uniforme bleu foncé avec des liserés rouges, et sur les bras ils portaient l’insigne de leur grade. On pouvait entendre le récit, merveilleux de leur « sauvetage ». L’ancien ivrogne expliquait comment, grâce à Jésus, il s’était à jamais sauvé de la boisson, la prostituée du vice, le voleur du crime, et tous invitaient les présents à se donner à Jésus, à suivre la voie de la rédemption. Le chef de la bande, pendant qu’on glorifiait l’œuvre de Jésus, invitait les assistants à faire le sacrifice de leur obole, qu’un salutiste, un tambourin à la main, recueillait.

Tant que la propagande socialiste n’obtenait que de maigres résultats et que les affaires de l’Armée du Salut allaient mieux que les nôtres, la police fermait les yeux. Mais dès que commençait une période de crise et qu’il y avait accroissement de chômage ou que, comme dans la période dont je parle, une certaine effervescence commençait à se faire sentir dans les masses, alors les persécutions policières commençaient. Nos meetings en plein air étaient invariablement interrompus. À peine un de nos orateurs avait-il