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LIVRE VIII, § XLV.

qu’ils aient de toi un souvenir aussi peu durable qu’eux-mêmes[1] ?

XLV

Saisis-moi[2], jette-moi où bon te semble. Là comme partout ailleurs, j’aurai mon génie[3], qui ne me sera pas moins favorable, je veux dire, qui saura se contenter de vivre et d’agir conformément aux lois de son organisation propre. Qu’y a-t-il donc là qui mérite que mon âme en soit en rien troublée, et que, se ravalant elle-même, elle s’abaisse, se passionne, et se laisse aller à l’abattement ou à l’épouvante ? Mais où trouver jamais[4] quelque chose qui puisse valoir ce sacrifice ?

    haut, liv. III, § 10.

  1. Aussi peu durables qu’eux-mêmes. La réflexion est bien juste ; mais il y a une réponse à ce dédain de la gloire, quelque raisonnable qu’il soit ; et on peut la demander à Pascal. Voir plus haut la note, liv. VI, § 59.
  2. Saisis-moi. Marc-Aurèle s’adresse ici à la Providence pour faire acte encore une fois de parfaite soumission à ses volontés, tout ensemble souveraines et justes. Voir plus haut, liv. V, § 16.
  3. Mon génie. Ma raison, ou, comme dirait le Christianisme sous une autre forme : « Mon ange gardien. »
  4. Où trouver jamais. Réflexion profondément sensée pour qui a su discerner les vrais biens et les vrais maux, mais que le sage lui-même n’a pas toujours le temps de faire, sous le coup de la passion, qui nous aveugle et nous emporte.