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LIVRE II, § VII.

sans que tu aies tenu le moindre compte de toi, ne plaçant jamais ton bonheur que dans l’âme des autres[1].

VII

Les accidents du dehors te distraient de mille façons ; ménage-toi donc un peu de répit pour apprendre aussi quelque chose de bien et pour te soustraire enfin au tourbillon qui t’emporte. Voici bientôt le moment[2] où il faut songer à l’autre carrière[3] ; car c’est se moquer que de se fatiguer à agir dans la vie, sans avoir un but précis

    de plus nécessaire que de recueillir en nous-mêmes toutes ces pensées qui s’égarent. »

  1. Ne plaçant jamais ton bonheur que dans l’âme des autres. Réflexion profonde, dont la vérité est aussi évidente que la pratique en est difficile.
  2. Voici bientôt le moment. Ceci confirme ce que Marc-Aurèle a déjà dit plus haut, §§ 6 et 2. C’est aussi une preuve de plus que ces réflexions que l’Empereur s’adresse à lui-même, ont été écrites dans les derniers temps de sa vie. Il a toute la maturité qu’exige la sagesse.
  3. L’autre carrière. On peut entendre cette expression de deux manières. La plus naturelle et la plus simple, c’est de la rapporter à l’autre vie. Mais elle peut signifier aussi une autre méthode de vie, qui consiste à rentrer en soi après en être constamment sorti sous les provocations et les entraînements du dehors. C’est la réflexion substituée à la pratique instinctive ; c’est la contemplation de la vie intérieure remplaçant le trouble du monde des affaires et des intérêts. La fin de ce paragraphe peut faire croire que cette seconde interprétation est la véritable ; et le paragraphe suivant la fortifie encore.