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PENSÉES DE MARC-AURÈLE.

tement la même perte[1] ; car ce n’est jamais que du présent qu’on peut être dépouillé, puisqu’il n’y a que le présent seul qu’on possède, et qu’on ne peut pas perdre ce qu’on n’a point.

XV

Que tout soit opinion[2], c’est ce qui ressort avec la dernière évidence des démonstrations de Monime, le Cynique ; et l’utilité de son système

  1. Font exactement la même perte. En ce sens que l’un et l’autre ne perdent que l’instant présent, et qu’en regard de l’infini de l’éternité, la longueur de la vie humaine ou sa brièveté sont un égal néant. Mais comparativement de l’un à l’autre, la perte n’est pas la même ; et le deuil qui accompagne certaines morts le prouve bien. La société ne perd pas grand’chose dans un enfant ; elle peut perdre immensément par la mort d’un homme de génie, capable de bien des services encore après tous ceux qu’il aurait déjà rendus.
  2. Que tout soit opinion. Cette expression est un peu vague, et elle peut présenter plusieurs sens. Nous pourrions mieux savoir quel est le véritable, si nous avions les ouvrages de Monime, le Cynique ; mais on ne le connaît que par quelques passages fort courts de Sextus Empiricus, Adversus mathematicos, liv. VII, §§ 48, 67, 88, et liv. VIII, § 5. Par Opinion, faut-il entendre ici ce que Pascal appelle Imagination, quand il dit : « Cette superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plait à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l’homme une seconde nature… Qui dispense la réputation ? Qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, si ce n’est cette faculté imaginante ? Toutes les richesses de la terre sont insuffisantes sans son consentement. » Pensées, article 3,