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LIVRE II, § XVI.

n’est pas moins évidente, si l’on sait faire la part de ce qu’il contient de vraiment profond[1].

XVI

L’âme de l’homme ne saurait s’infliger une plus cruelle injure à elle-même que de devenir en quelque sorte un rebut et comme une superfétation de l’univers. Or, prendre jamais en mal quoi que ce soit dans ce qui arrive[2], c’est se révolter contre la nature universelle[3], qui renferme les natures si diverses de tous les êtres. En second lieu, notre âme ne se fait guère moins de tort, quand elle prend un homme en aversion et qu’elle s’emporte contre lui dans l’intention de lui nuire, avec cette passion aveugle des cœurs

    pp. 31 et 32, édit. Havet.

  1. La part de ce qu’il contient de vraiment profond. C’est là, en effet, toute la difficulté.

    Sénèque a dit : « Considérez bien toutes les choses dont la perte nous tire des larmes et nous trouble le sens ; vous trouverez que ce qui nous afflige n’est pas tant ce que nous perdons que ce que nous croyons avoir perdu. Personne ne sent la perte que dans son imagination (opinionem). Celui qui se possède ne peut rien perdre ; mais il y en a bien peu qui sachent se posséder. » Épître XLII, à Lucilius.

  2. Prendre jamais en mal quoi que ce soit dans ce qui arrive. Voilà l’optimisme dans toute son énergie pratique. Ce n’est pas le quiétisme ; c’est une confiance réfléchie dans la bonté et la puissance de Dieu.
  3. C’est se révolter contre la nature