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LIVRE III, § VII.

tragédie et de pousser des gémissements. Il n’aura besoin ni de la solitude, ni de la foule ; il vivra sans rechercher, ni fuir, la part qui lui est faite. Il ne se préoccupe absolument en rien de savoir s’il jouira pendant plus ou moins de temps de cette existence, où son âme est enveloppée dans son corps. Mais dût-il à l’instant même partir de la vie[1], il en sort comme s’il s’agissait d’un de ces actes qu’on peut toujours accomplir avec honneur et pleine sécurité, n’ayant qu’un seul souci durant le cours de sa vie entière, celui d’empêcher que jamais sa pensée ne soit dans une disposition indigne

    c’est cette solennité mystérieuse de la vie intérieure qui explique les excès où le mysticisme se laisse emporter, même dans les âmes les mieux faites et les plus intelligentes. Elles cèdent malgré elles au charme irrésistible et infini. Marc-Aurèle prévient ces emportements d’égoïsme, en recommandant au philosophe de ne jamais oublier ce qu’il doit à la société dans laquelle il vit.

  1. Partir de la vie. De quelque façon que ce soit, même sous la forme de suicide, si la raison du sage stoïcien trouvait nécessaire cette résolution extrême. Bossuet a dit, à la fin du Traité de la Connaissance de Dieu et de soi-même, ch. V, § 14 : « Lorsque quelque vérité illustre nous apparaît et que, contemplant la nature, nous admirons la sagesse qui a tout fait dans un si bel ordre, nous goûtons un plaisir si pur que tout autre plaisir ne nous parait rien à comparaison. C’est ce plaisir qui a transporté les philosophes et qui leur a fait souhaiter que la nature n’eût donné aux hommes aucune des voluptés sensuelles, parce que ces voluptés troublent en nous le plaisir de goûter la vérité toute pure. »