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Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/105

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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

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Pourquoi des âmes simples et ignorantes confondent-elles une âme d’homme habile et savant[1] ? Qu’est-ce donc qu’être habile et savant ? C’est connaître l’origine et la fin des choses et la raison qui pénètre la matière[2] tout entière et qui, à travers la durée tout entière, gouverne le monde et détermine les périodes de son histoire[3].

33

À l’instant même tu seras de la cendre, un squelette, un nom, moins qu’un nom ; or, un nom n’est qu’un bruit, un écho. Ce qu’on honore le plus dans la vie est vide, pourri, petit ; ce sont morsures de petits chiens et querelles d’enfants qui rient et pleurent aussitôt. La foi, la pudeur, la justice et la vérité sont « parties vers l’Olympe, loin de la vaste terre »[4]. Qu’est-ce qui te retient donc encore ici ? Les choses sensibles sont changeantes et ne durent pas ; tes sens[5] sont faibles et faciles à égarer ; ta pauvre âme[6] elle-même n’est qu’une exhalaison[7] du sang. Avoir de la renommée auprès d’êtres

  1. [Couat : « les habiles et les savants. » — En modifiant cette traduction, j’ai voulu seulement éviter qu’on se méprit sur le sens du mot confondre.]
  2. [Couat : « substance. »]
  3. [Couat : « qui dispose tout à travers la durée tout entière dans des périodes déterminées. » — Marc-Aurèle n’a pas toujours affirmé avec cette assurance (cf. supra V, 13, dernière note) les révolutions périodiques de l’univers.]
  4. [Hésiode. Travaux et Jours, 195.]
  5. [Noter la gradation. Entre les choses extérieures et l’âme, qu’elles « ne touchent point » (V, 19), il y a les sens, qui sont pour Marc-Aurèle hors de l’âme (V, 26, avant-dernière note), soit dans le corps, soit dans le « souffle » (IV, 3, 5e note).]
  6. [Par « âme », entendre ici la raison (cf. la note finale), et non, comme l’ont imprimé dans leurs traductions Pierron, Barthélemy-Saint-Hilaire et M. Michaut, le « souffle » ou la « force vitale ». Est-ce pour le « souffle », la « force vitale », ou l’âme raisonnable que Marc-Aurèle se pose (voir la troisième note après celle-ci) la question de la seconde vie ? — Marc-Aurèle reprend ici, mais en supprimant le mot αἰσθητική, car il attribue la sensation au corps, la définition consacrée dans l’école : τὴν ψυχὴν οί Στωϊκοὶ όρίζονται πνεῦμα συμφυὲς καὶ ἀναθυμίασιν αἰσθητικὴν ἀναπτομένην ἀπὸ τὦν ἐν σώματι ύγρῶν. Si dans ce texte du Pseudo-Plutarque (vie d’Homère, 127) καὶ ne marque pas l’identité des termes qu’il unit, on voit que les autres Stoïciens distinguaient aussi l’ « exhalaison du sang », qui pour Marc-Aurèle est proprement l’âme, du souffle vital, mais considéraient ce dernier comme faisant déjà partie de l’âme.]
  7. [L’exhalaison (ἀναθυμίασις) doit être nettement distinguée, au moins chez Marc-Aurèle, du simple changement d’éléments (ἀλλοίωσις : cf. supra IV, 3, note finale). L’ἀλλοίωσις peut être totale : c’est la transformation d’une couche d’eau en une surface de glace ou l’évaporation de cette eau. L’ἀναθυμίασις est le passage à l’état le plus subtil d’une partie seulement d’une matière donnée, — nécessairement de la partie