Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

ainsi faits n’est que vanité. Eh bien ![1] attends avec sérénité ou de t’éteindre ou de changer de place[2]. Et, jusqu’à ce que l’heure en soit venue, que te faut-il ? Rien qu’honorer et louer les Dieux, faire du bien aux hommes, supporter et t’abstenir[3], te souvenir que tout ce qui est en dehors des limites de ton petit amas de chair et de ton faible souffle[4] n’est pas à toi et ne dépend pas de toi.

    la plus ténue et la plus pure. Dans l’univers, le bois le plus grossier entretient le feu terrestre, et la bûche qu’on lui apporte est tout entière consumée : mais les astres, qui sont divins, qui ont une matière d’âme, ne peuvent être alimentés que par les « exhalaisons » de la mer (Plutarque, de Stoïc. repugn., 1053). De même en nous Marc-Aurèle explique (IV, 21) par une ἀλλοίωσις la formation de la partie aérienne et ignée, en d’autres termes, de l’âme animale (cf. quatre notes plus bas), et par une ἀναθυμίασις celle de l’âme raisonnable. Il est possible d’ailleurs que les autres stoïciens, moins préoccupés de dégager le « dieu intérieur » de la matière, n’aient pas accordé la même importance à cette distinction.]

  1. La leçon des manuscrits : τί οὖν ; περιμένεις… n’est pas admissible. L’affirmation exprimée par la seconde personne de l’indicatif présent περιμένεις ne s’accorde pas avec ce qui précède. Le sens indiqué par la suite des idées est évidemment celui-ci : « qu’y a-t-il donc à faire ? attendre, etc… » — Il est facile d’obtenir ce sens ou un sens analogue en écrivant soit τί οὖν οὐ περιμένεις…, soit τί οὐ περιμένεις…, comme l’a demandé Gataker, soit τί οὖν ; περίμενε…, que je préférerais, [soit enfin τί οὖν ; περιμενεῖς ; que propose M. de Wilamowitz.]
  2. [Couat : « ou ton extinction ou ta métamorphose. » J’ai longuement développé (supra IV, 21, 1re  et dernière notes) les deux conceptions de la destinée humaine, σϐέσις ou μετάστασις, entre lesquelles surtout a hésité Marc-Aurèle.]
  3. [Ces divers préceptes résument (cf. Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 761) toute la morale de Marc-Aurèle. La maxime bien connue « supporte et abstiens-toi » suffisait à Épictète, qui faisait tenir en ces deux mots tout l’art de la vie (ibid., p. 749).]
  4. [Marc-Aurèle distingue dans l’homme tantôt deux parties, tantôt trois. La première division est l’analyse traditionnelle en corps et en âme (σῶμα et ψυχὴ, par exemple VI, 32) : c’est de beaucoup la plus fréquente dans les Pensées. On trouvera la seconde (σωμάτιον, πνευμάτιον, νοῦς) au début de l’article XII, 3, et dans quelques autres passages, où νοῦς peut être remplacé par un synonyme, soit ἡγεμονικόν (II, 2), soit ψυχή, comme ici (cf. la 3e note). L’équivalence d’ἡγεμονικὸν et de νοῦς est constante chez Marc-Aurèle (cf. infra IX, 22, seconde note) et dans tout le Stoïcisme ; celle de νοῦς et de ψυχή, lorsqu’on parle de l’homme (car l’âme de l’animal n’est qu’une ψυχὴ ἄλογος), est manifeste en des pensées qui supposent l’homme composé de trois parties (supra IV, 3, 7e note), comme en toutes celles (notamment VI, 32) qui ne lui en attribuent que deux. Nulle part, en revanche (cf. supra III, 16, fin de la 1re  note), je n’ai trouvé trace d’une opposition de l’âme et de la raison, comme de deux principes différents de la constitution humaine.

    Or, il est assez malaisé de définir le πνευμάτιον dont parle ici Marc-Aurèle ; et davantage encore de ramener l’une à l’autre ses deux analyses de l’homme. Nous avons des textes stoïciens qui appellent l’âme, non, comme celui du Pseudo-Plutarque cité cinq notes plus haut, πνεῦμα συμφυὲς καὶ ἀναθυμίασις, mais seulement πνεῦμα συμφυὲς (Diogène, VII, 156), c’est-à-dire un souffle né avec l’homme : or à l’article XII, 3, des Pensées il nous faut entendre par les mêmes mots (πνεῦμα σύμφυτον) un souffle né avec l’âme, c’est-à-dire distinct d’elle. — Il y a, sans doute, un passage où Marc-Aurèle a défini ce qu’il entendait par πνευμάτιον : c’est la seconde pensée de son livre II. Mais là, il nous paraît surtout préoccupé d’avilir ce dont il parle. Ce souffle n’est que « du vent » ; c’est l’air que nous aspirons et renvoyons sans cesse, qui nous est étranger par suite, et qu’il nous donne pourtant pour une partie de nous. Contradiction d’autant plus étrange — si elle n’était cherchée — qu’il était impossible à