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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

détruire. Oui, l’univers avait besoin d’un tel auxiliaire. Tu n’as donc qu’à te demander dans quel parti tu te rangeras. Celui qui dirige le monde saura bien se servir de toi ; il t’accueillera toujours au nombre de ses collaborateurs[1] [libres ou non]. Mais n’en fais pas partie au même titre que dans la comédie ces vers pauvres et ridicules dont parle Chrysippe[2].

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Est-ce que le soleil voudrait remplir les fonctions de la pluie, et Esculape celles de Déméter ? N’en est-il pas de même de chacun des astres ? Ils ont des rôles différents bien que contribuant au même résultat.

  1. La vulgate donne ici les mots τῶν συνεργῶν καὶ συνεργητικῶν. Ces deux synonymes ne s’expliquent guère. Il faudrait ou bien supprimer l’un des deux, comme nous le voyons dans le manuscrit A (et c’est là un procédé bien sommaire dont j’ai dû pourtant me contenter) ; ou bien chercher si dans l’un de ces deux mots ne se cache pas une faute. Il y a deux sortes de collaborateurs à l’œuvre de l’univers, dit l’auteur, les volontaires et les involontaires, ceux qui aident et ceux qui s’opposent. Quoi qu’on fasse, on sera compté dans l’un ou dans l’autre parti. N’est-on pas amené par la suite du raisonnement à supposer qu’au lieu d’être deux synonymes, le mot συνεργῶν et celui que représente συνεργητικῶν sont opposés l’un à l’autre ? N’y avait-il pas par exemple dans l’archétype : τῶν συνεργῶν ἢ ἐμποδιστικῶν ?

    [En marge des observations qui précèdent, je trouve un point d’interrogation dans le manuscrit de M. Couat. Eût-il maintenu sa conjecture ? Je ne saurais, pour ma part, en accepter la responsabilité. Au point de la pensée où elle se présente, il ne peut plus être question d’opposants à la marche des choses ; il est démontré que l’univers ne saurait trouver que des collaborateurs parmi les hommes ; l’antithèse est désormais impossible entre ἐμποδιστικοὶ et συνεργοί. — Il me paraît, d’ailleurs, contraire à toutes les habitudes de la critique de supprimer simplement le terme qui nous gêne, soit συνεργῶν, soit συνεργητικῶν. Posons donc en principe qu’il y avait à la fin de cette phrase, dans l’archétype, deux mots réunis par καί, — et exprimant deux nuances différentes de l’idée de collaboration : le premier, vraisemblablement, la collaboration libre, d’égal à égal (« Non pareo Deo, sed adsentior ») ; le second, la collaboration forcée de l’inférieur au supérieur. Je lirais volontiers (cf. la note précédente) συναιτίων καὶ συνεργητικῶν, sans craindre qu’on pût tirer contre cette lecture une objection des premiers mots de la pensée : πάντες… συνεργοῦμεν, οί μὲν εἰδότως…, ou de la phrase : ἄλλος δὲ κατ′ ἄλλο συνεργεῖ. Dans les deux cas, le verbe συνεργεῖν est pris comme terme générique ; et l’analyse étymologique du mot justifie cet emploi : συνεργά, tous les faits, tous les actes ou tous les êtres d’où résulte une même « œuvre » ; συναίτια, toutes les « causes » d’un même effet. Il y a des συνεργὰ qui ne sont pas proprement « des causes » ; mais tout συναίτιον est en même temps συνεργόν.]

  2. [Plutarque (De communibus notitiis, 14 = 1065, D) nous a conservé textuellement la citation de Chrysippe à laquelle Marc-Aurèle se réfère ici. En voici la traduction : « De même que les comédies portent des titres (?) ridicules qui par eux-mêmes ne valent rien et donnent pourtant je ne sais quel attrait à l’œuvre entière, de même le vice, condamnable en soi, n’est pas inutile au train du monde. » Le texte de Plutarque est d’ailleurs assez mal établi. Je l’ai lu dans l’édition de Bernardakis. Il n’y est point question des « vers pauvres », comme on le voit, mais du « titre », ἐπιρράμματα. Les corrections qu’on a proposées (παραγράππατα, jeux de mots par « à peu près », — ἐπιρράμματα, pièces de rapport) ne suffisent pas à concilier les témoignages de Plutarque et de Marc-Aurèle.]