4
Il faut suivre mot par mot les discours et dans les actes observer chaque intention[1]. Ici, vois immédiatement à quel but tend l’action[2] ; là, ce que signifient les paroles.
5
Est-ce que mon intelligence suffit à telle œuvre, ou non ? Si elle y suffit, je m’en sers comme d’un instrument qui m’a été donné par la nature universelle. Si elle n’y suffit pas, je cède la place au plus capable d’accomplir le travail, à moins que[3] ce ne me soit un devoir : en ce cas, j’agis comme je peux, en m’adjoignant celui qui, avec l’aide de mon principe dirigeant, pourra réaliser cette œuvre opportune et utile au bien commun. Il faut [en effet] que ce que nous faisons par nous-mêmes ou avec le secours d’autrui n’ait pas d’autre but que l’utilité de l’univers et soit en harmonie avec lui.
6
Combien de personnages sont déjà tombés dans l’oubli, après avoir été célébrés par d’autres, et combien parmi ceux qui les ont célébrés ont depuis longtemps disparu !
- ↑ [Var. : « Il faut suivre mot par mot ce qui se dit et mouvement par mouvement ce qui se fait, » — ces derniers mots effacés au crayon : sans doute ont-ils paru trop vagues à M. Couat. Sa seconde version, que j’ai imprimée ci-dessus, est plus précise que le texte même : ce dont je me garde, d’ailleurs, de lui faire un mérite. Pourtant, il me semble qu’en regard de τοῖς λεγομένοις et à côté de καθ´ ὁρμήν, le sens de τοῖς γινομένοις n’est pas douteux, et qu’on ne court pas grand risque à l’affirmer.]
- ↑ [Il y a dans le texte, entre les mots σκοπὸν et ἀναφορά, un léger pléonasme que la traduction dissimule. Les trois mots τίς ἡ ἀναφορὰ eussent suffi à exprimer la pensée de l’auteur. Littéralement, ἀναφορὰ signifie « rapport » ; plus spécialement, par opposition à ὔλη et αἰτία, « rapport de finalité, — cause finale, — fin. » C’est le sens qu’il aura constamment au livre XII (10, 18, 20), où nous trouverons (XII, 8) l’expression ἀναφορὰ τῶν πράξεων.]
- ↑ [Couat : « à moins que mon devoir ne soit de faire autrement ; ou bien j’agis, etc. » Var. : « ou bien je cède la place au plus capable d’accomplir le travail ; ou bien, si mon devoir ne me prescrit pas de faire autrement, j’agis… » — Ces deux versions traduisent l’une la vulgate, l’autre le texte de Reiske, qui a fait passer après la conjonction ἤ, c’est-à-dire dans la seconde alternative, la proposition ἐὰν ἄλλως τοῦτο μὴ καθήκῃ. Toutes deux restituent dans la phrase grecque à laquelle elles correspondent un infinitif πράσσειν à côté de τοῦτο ; or, au moins dans la première alternative, avant ἣ πράσσω, cet infinitif n’aurait pu être sous-entendu et ne serait donc tombé que par une faute de copiste ; d’autre part, le texte de Reiske n’est qu’une conjecture, même une conjecture illogique, que condamnera Marc-Aurèle lui-même à l’article VII, 7.
Il n’était pas nécessaire de toucher à la vulgate. Pour l’entendre, il suffit d’y atténuer, d’y presque annuler le sens d’ἄλλως, en traduisant ἐὰν ἄλλως par « si d’ailleurs… »