Aller au contenu

Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/140

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
136
BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

12

Sois droit et non redressé[1].

13

Le même rapport qui unit dans l’individu les membres du corps associe entre eux les êtres raisonnables, constitués pour une action commune[2]. Cette pensée se présentera avec plus de force à ton esprit si tu te dis souvent à toi-même : je suis un membre de l’organisme que constituent les êtres raisonnables. Mais si, au lieu de « membre »[3], tu dis « une partie », c’est que tu n’aimes pas encore les hommes du fond du cœur ; tu ne comprends pas encore la joie[4] qu’il y a dans une bonne

  1. ὀρθὸς ἣ ὀρθούμενος. J’ai traduit comme s’il y avait μή, au lieu de . Bien que Marc-Aurèle ait à plusieurs reprises, et même dans le livre VII (§ 7), accordé que l’homme pouvait et devait profiter des conseils et des secours d’autrui pour arriver à la vertu, il me semble qu’il n’aurait pas exprimé cette idée sous la forme de maxime impérative qu’il lui a donnée ici. Il a, d’ailleurs, formulé l’idée contraire, presque dans les mêmes termes, à la fin de l’article 5 du livre III : « ὀρθὸν οὖν εἶναι χρή, οὐχὶ ὀρθούμενον. » Cette maxime, conforme à la doctrine stoïcienne, et écrite avec la concision qui convient à une recommandation de ce genre, n’a sans doute pas été retournée en sens contraire, dans les mêmes termes, par Marc-Aurèle. Il est bien plus probable qu’il l’a seulement répétée.
  2. [Couat : « De même que, chez les individus, les membres sont unis dans le corps, d’après les mêmes principes les êtres raisonnables, quoique séparés, ont été créés pour une action commune. » — Les Stoïciens distinguaient trois types de l’unité. Ils appelaient ἡνωμένα les êtres ou les choses que définit une détermination première ou qualité essentielle : ἡνωμένα… τὰ ύπὸ μιᾶς ἔξεως κρατούμενα, καθάπερ φυτὰ καὶ ζῷα (Sextus Empiricus, adv. Mathem., IX, 78). L’unité collective, formée de l’arrangement ou du groupement des ἡνωμένα, était celle des συναπτόμενα (tels un navire, une maison, une chaîne) et des ἐκ διεστώτων (comme une flotte, une armée, un troupeau). — Cf. Simplicius, 55, ε, et les autres textes cités dans Zeller (Phil. der Gr., III3, p. 97). — Marc-Aurèle ne distingue ici que pour les mieux identifier l’unité de la première et celle de la troisième espèces.

    Nous nous sommes expliqué précédemment sur le sens du mot « constitution » (V, 16, 3e note ; VI, 44, 2e note) et sur les « causes coopérantes » (συναίτια et συνεργά : VI, 42, notes 1 et 2).]

  3. Les deux substantifs μέρος et μέλος (membre et partie) sont opposés de manière à former un jeu de mots intraduisible en français. C’est pour cela que j’ai supprimé dans ma traduction la parenthèse διὰ τοῦ ῥῶ στοιχείου, qui n’aurait aucun sens. [Elle fait, d’ailleurs, si gauchement valoir le jeu de mots de Marc-Aurèle qu’il est presque impossible de ne pas la traiter comme une glose.]
  4. [Couat : « le plaisir de faire du bien ne te donne pas encore une joie absolue ; tu le regardes encore comme un simple devoir de convenance, et pas encore comme un bien que tu te fais à toi-même ; » — et, en note :

    « J’ai adopté, avec Gataker, la leçon καταληκτικῶς au lieu de καταληπτικῶς, qui ne se comprend pas. »

    Je crois, pour ma part, qu’on peut la comprendre. On connaît l’expression stoïcienne φαντασία καταληπτική (supra, p. 17, n. 2 ; Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 82, notes) : est-il impossible de supposer une locution verbale φαντάζεσθαι καταληπτικῶς ? puis d’autres locutions verbales où entrerait le même adverbe, pris toujours dans le