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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

Divise et partage tout objet[1] en principe efficient et en matière[2]. Pense à ta dernière heure. Si l’on a commis une faute envers toi, laisse cette faute à son auteur.

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Il faut suivre ce qu’on nous dit en y appliquant fortement notre pensée ; il faut que notre esprit[3] pénètre dans les choses et dans leurs causes.

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Éclaire-toi de simplicité, de pudeur, d’indifférence pour tout ce qui est entre la vertu et le vice[4]. Aime le genre humain. Suis Dieu[5]. Voici un poète[6] qui dit : « Tout est réglé par des lois. » On dit aussi[7] que les éléments seuls

    le temps, le principe efficient et la matière. La proposition tout entière est aisément expliquée par la dernière phrase de la pensée IV, 33, et la première de la pensée IV, 44. Nous y retrouvons, en effet, le mot τὸ συμϐαῖνον, à côté de l’adjectif γνώριμον. Marc-Aurèle a voulu dire ici : « Fais que tous les événements de la vie te soient connus lorsqu’ils t’arriveront ; — ne sois pas surpris de ce qui peut t’arriver. »]

  1. [Cf. supra VI, 3 et 4, en notes.]
  2. [Couat : « en matière et en forme. » — Cf. IV, 21, note finale.]
  3. [Aristote distingue très nettement la νόησις du νοῦς : l’une est la pensée en acte, l’autre la pensée en puissance. La théorie de la puissance et de l’acte n’est pas stoïcienne ; et ici, en particulier, on ne saurait voir une antithèse entre νόησις et νοῦς sans la chercher aussi entre τοῖς λεγομένοις et τὰ γινόμενα. Or, il est évident que les deux phrases qui constituent cette pensée se complètent et ne s’opposent pas. Même elles échangeraient sans inconvénient leurs premières moitiés : en effet, on ne s’étonnerait pas de lire τοῖς γινομένοις au lieu de τοῖς λεγομένοις ; et nous avons rencontré à l’article VI, 53, les mots : ἐν τῇ ψυχῇ τοῦ λέγοντος γένου. — S’il y a pour Marc-Aurèle une différence de νοῦς à νόησις, c’est simplement celle que marque le suffixe —σις ; comme ποίησις est l’action de ποιεῖν, νόησις est l’action de νοεῖν, ou l’action du νοῦς. Dès lors, les substantifs employés s’expliquent aisément par les verbes qui les précèdent ; et il est, en effet, presque indifférent de dire : « Faire entrer sa pensée dans… » ou « appliquer l’action de sa pensée à… »]
  4. [C’est-à-dire « pour tout ce qui n’est ni la vertu ni le vice », et non, comme le laisse entendre un mot que j’ai dû supprimer dans la traduction de M. Couat, « pour tout ce qui est intermédiaire entre la vertu et le vice. » Il n’y a pas de passage de l’un à l’autre, donc pas de milieu entre eux, bien que, pour les Stoïciens et Marc-Aurèle en particulier, les choses indifférentes s’appellent aussi bien τὰ μέσα que τὰ ἀδιάφορα.]
  5. [C’est-à-dire : « sois libre. » — Cf. III, 9, et VII, 67, derniers mots.]
  6. [D’ailleurs inconnu : les mots cités sont une fin d’hexamètre.]
  7. Voici encore un passage inintelligible. Les manuscrits donnent ἕτι εἰ δαίμονα τὰ στοιχεῖα. Ces mots n’offrent aucun sens. La phrase qui suit immédiatement indique que deux opinions viennent d’être produites, dont une seulement doit être retenue. La première de ces opinions : « πάντα νομιστί, » est empruntée par Marc-Aurèle à un poète. La seconde se trouve donc dans les mots ἕτι εἰ δαίμονα τὰ στοιχεῖα. Partant de là, on est conduit à lire ἕτι δέ, ou ἕτι δὲ καί, ὅτι δέ, ou ὅτι δὲ καί, ἕνιοι δέ, ou ἕνιοι δὲ καί. Ces mots, opposés à ἐκεῖνος μέν φυσιν, annoncent la seconde maxime qui va suivre. Cette maxime se cache sous les mots δαίμονα τὰ στοιχεῖα, qui n’ont pas de sens, et elle appartient soit au poète déjà cité, soit à un autre auteur. Que peuvent être, d’ailleurs, les mots représentés par δαίμονα τὰ στοιχεῖα ? Si on lit, comme nous