Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/18

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l’accompagner dans ses voyages. Ceux que des obligations quelconques avaient éloignés de lui le retrouvaient toujours le même ; dans les délibérations, il cherchait attentivement et avec persévérance le parti à prendre, au lieu d’éviter toute peine[1] en se contentant de ses premières impressions. Il était fidèle à ses amis sans manifester ni lassitude ni engouement ; en toute occasion, il était maître de lui et d’humeur sereine. Il prévoyait et réglait d’avance les plus petites choses, sans faire d’embarras ; il arrêtait les acclamations et les flatteries dont il était l’objet. Économe des biens de l’empire, il réglait avec vigilance les dépenses des chorégies et ne craignait pas d’en être blâmé. Il n’avait aucune superstition à l’égard des Dieux, et, à l’égard des hommes, il ne cherchait point à plaire à la foule et à se rendre populaire ; en tout, il était sobre, ferme, sans affecter le manque de goût et sans se montrer avide de nouveautés. Il usait sans vanité et sans façon des biens qui contribuent à la douceur de la vie, et que la fortune[2] prodigue en abondance. Il s’en servait [naturellement] quand ils se présentaient et n’en éprouvait pas le besoin quand il ne les avait pas. Nul n’aurait pu dire de lui qu’il fût un sophiste, un goujat, ou un pédant. On voyait en lui un homme

    s’accorder avec le contexte, est celui qu’ont accepté Pierron et Barthélemy-Saint-Hilaire, après Xylander : « le zèle du bien public. » C’est le contexte, en effet, qui seul peut fixer le sens de κοινονοημοσύνη. Un détail qu’on juge à l’ordinaire insignifiant, la ponctuation traditionnelle, — celle que paraît bien exiger le rythme du discours, l’équilibre des phrases, — prend ici une importance décisive : au cours de cette phrase, limitée par deux points en haut, il n’y a pas de ponctuation secondaire, pas de virgule entre les deux καὶ. Cela implique que le premier signifie : « et à la fois ; » ou, en d’autres termes, que le second est l’équivalent de τε καὶ ; ou, en d’autres termes encore, qu’il y a une certaine opposition entre les deux mérites que cette phrase attribue à Antonin, et que cette opposition même est méritoire. La traduction de ce passage devait donc commencer par le mot « malgré », ou toute autre formule concessive. Par malheur, le sens du mot qui s’oppose à κοινονοημοσύνη, est ambigu. Chez le même auteur, ἐφίεσθαι, construit avec le datif d’un nom de personne et un infinitif, a les deux sens d’ordonner (Electre, iiii) et d’autoriser (Philoctète, 619). Ces deux sens, en eux-mêmes assez différents, peuvent devenir tout à fait contraires (défendre de faire… et autoriser à ne pas faire…) quand la proposition qui suit ἐφίεσθαι est négative. C’est le cas ici. Dans les deux propositions négatives qui achèvent la phrase, M. Couat me semble avoir successivement donné les deux sens à ἐφίεσθαι. J’ai cru qu’il fallait choisir, et que la présence de l’adverbe ἐπάναγκες ne permettait pas d’hésiter. Tandis que M. Couat, adoptant d’abord pour ἐφίεσθαι le sens d’ « ordonner », traduisait κοινονοημοσύνη par « affabilité », j’ai traduit le verbe par « autoriser », et conséquemment le substantif par « goût de la société ».]

  1. [Aug. Couat traduit ici la conjecture de Stich : ἀλλ’ οὔτοι προαπέστη.]
  2. [Cf. infra II, 3, dernière note.]