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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

qu’ils désirent la santé, la richesse ou la gloire. Tu peux en faire autant ; ou bien dis-moi qui t’en empêche.

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Travaille, non comme un malheureux, non pour te faire plaindre ou admirer. N’aie point d’autre volonté que d’agir ou de te contenir[1] comme la raison l’exige pour le service de la cité.

13

Aujourd’hui même je suis sorti des difficultés qui m’embarrassaient, ou plutôt j’ai écarté ces difficultés, car elles n’étaient pas au dehors, mais au dedans de moi-même, dans mes jugements[2].

14

Tout ceci[3] est devenu banal par l’usage, la durée en est éphémère, la matière vile. Tout est maintenant comme du temps de ceux que nous avons ensevelis.

15

Les choses restent à notre porte les unes sur les autres, ne sachant et ne révélant rien d’elles-mêmes. Qui est-ce qui nous les fait connaître ? Le principe dirigeant.

  1. [Couat : « de rester en repos. » — Pour comprendre les verbes κινεῖσθαι et ἴσχεσθαι, il est nécessaire de se reporter à la définition du mot ὠφέλεια, que nous a conservée Stobée, et que j’ai citée un peu plus haut (VII, 74, en note). Je n’en retiendrai que les derniers mots : εἶναι γὰρ τὸ ὠφελεῖν ἴσχειν κατ΄ ἀρετήν, καὶ τὸ ὠφελεῖσθαι κινεῖσθαι κατ΄ ἀρετήν. Le véritable intérêt de l’être moral étant dans son action (κινεῖσθαι), il est impossible qu’ἴσχειν, dans la définition rapportée par Stobée, puisse signifier « arrêter » ; par suite, qu’ἴσχεσθαι veuille ici dire « rester en repos ». Ce n’est pas en empêchant mon action qu’on peut m’être utile, c’est en l’empêchant de devenir mauvaise. La passion (πάθος), qui n’est jamais bonne, n’est autre chose qu’un mouvement de l’âme qui n’a pas subi cette retenue salutaire (ὁρμὴ πλεονάζουσα : supra III, 16, 3e note). Au reste (supra VII, 7, et surtout VIII, 16), l’aide d’autrui ne nous enlève ni notre initiative ni le mérite de notre action : c’est ce que les Stoïciens expriment en définissant ὠφελεῖν non par ἴσχειν καὶ κινεῖν, mais par ἴσχειν seul. Au contraire, pour marquer que l’aide d’autrui ne peut nous servir que si nous ne cessons de nous aider nous-mêmes, les Stoïciens définissent ὠφελεῖσθαι, comme ici, par les deux verbes κινεῖσθαι καὶ ἴσχεσθαι κατ΄ ἀρετήν, dont le premier au moins est pour eux un réfléchi, non un passif, et dont le second (voir le texte de Stobée) ne leur semble même pas nécessaire. — Les mots ὡς ὁ πολιτικὸς λόγος ἀξιοῖ, qui terminent la pensée, attestent une fois de plus que l’« utilité » de l’agent moral ne se distingue pas de celle de l’univers.]
  2. [Cf. supra II, 15 ; IV, 7 ; V, 2, etc.]
  3. [Couat : « Tout ce qui nous entoure. » — Cf. supra VII, 2, note 2.]