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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

ton principe dirigeant fît ce pour quoi il a été constitué[1] : mais en voilà assez[2].

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Les autres te blâment-ils, te haïssent-ils, parlent-ils de toi de telle ou telle manière, pénètre au fond de leurs âmes[3] et regarde ce qu’ils sont. Tu verras qu’il ne faut pas te tourmenter afin qu’ils aient de toi une opinion quelconque. Néanmoins, sois bon pour eux ; ils sont tes amis d’après la nature. Les Dieux aussi[4] les aident de toute façon, par des songes, par des oracles[5], à obtenir précisément ces biens qui leur tiennent à cœur[6].

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Le monde tourne toujours dans le même cercle, en haut, en bas, de siècle en siècle[7]. Ou bien l’intelligence universelle se met en mouvement pour chaque objet particulier, et, s’il en est ainsi, tu dois suivre ce mouvement ; ou bien elle s’est mise en mouvement une fois pour toutes, et chaque événement est la conséquence de cette impulsion unique : et alors pourquoi te troubler ? ou enfin… Autant vaut parler des atomes, des indivisibles[8]. Bref, s’il y a un Dieu, tout va bien ; s’il n’y a que le hasard, tâche de ne pas t’abandonner toi-même au hasard.

Bientôt la terre nous recouvrira tous ; puis elle changera elle-même ; puis les choses changeront à l’infini ; puis encore

  1. [Couat : « créé. » — Cf. supra VI, 44, note 4.]
  2. Le texte donne ἀλλὰ ἁλις, que j’ai traduit littéralement. Mais je crois que ce texte est altéré, et que la conjonction ἀλλὰ annonce la contre-partie de ce qui précède. On peut supposer qu’il y avait : « mais tu lui demandais autre chose. » Je ne propose, d’ailleurs, aucune correction.
  3. [Cf. supra IX, 18, etc.]
  4. [Cf. supra VII, 70, et IX, 11.]
  5. [Marc-Aurèle lui-même, à la fin du livre I, remercie les dieux des avertissements qu’il en a reçus en songe. — Sur leur intervention dans les affaires humaines, cf. supra VII, 75, et la note rectifiée aux Addenda.]
  6. [Couat : « ces biens qu’ils recherchent en s’agitant de tout côté. » — Cette traduction m’a paru forcer le sens de διαφέρεσθαι. — Cf. supra VI, 32, note 1.]
  7. [Ici, Marc-Aurèle affirme avec assurance une doctrine dont il a parfois douté, et qu’il a même contestée (cf. supra V, 13, note finale, complétée aux Addenda).]
  8. [Couat : « toute chose provient d’une autre ; le monde, en effet, ne peut qu’être composé d’atomes ou former un tout indivisible. » — Le texte grec : καὶ τὶ ἐν τινί est inextricable ; Pierron déclare le passage désespéré. Le dernier, à ma connaissance, qui s’y soit attaqué est M. Rendall (Journal of Philology, XXIII, p. 150). De καὶ τὶ ἐν τινί· τρόπον γάρ τινα ἂτομοι, ἢ ἀμερῆ, il tire le verbe que nous jugeons sous-entendu dans la phrase précédente : κατεκτείνει. Puis, s’offensant de la redondance ἄτονοι