faisant comme un corps unique[1], et il ne convient pas que la partie se plaigne de ce qui lui arrive dans l’intérêt du tout ; ou bien il n’y a que des atomes et, par suite, rien que désordre et dispersion. Pourquoi donc te troubler ? Dis à ton principe dirigeant[2] : tu n’es plus qu’une bête brute, faite pour la mort et la corruption ; tu joues ton rôle, tu fais partie du troupeau et tu te repais avec lui.
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Ou les Dieux ne peuvent rien, ou ils peuvent quelque chose. S’ils ne peuvent rien, pourquoi les prier[3] ? S’ils peuvent quelque chose, au lieu de leur demander d’écarter de toi ceci ou cela, ou de te le procurer, pourquoi ne les pries-tu pas plutôt de faire que tu n’éprouves ni crainte, ni désir, ni chagrin, à propos de ceci ou de cela[4] ? En effet, s’ils peuvent venir en aide aux hommes, ils le peuvent aussi en ce point. Mais peut-être diras-tu : « Les Dieux m’ont accordé ce pouvoir. » Eh bien, ne vaut-il pas mieux user librement de ce qui est en ton pouvoir que de te porter[5], en t’abaissant au rôle d’un esclave, vers ce qui ne dépend pas de toi ? Qui t’a dit, d’ailleurs, que les Dieux ne nous aident pas également pour ce qui est en notre pouvoir ? Commence donc par les prier à ce propos, et tu verras. Un tel fait cette prière : Comment pourrais-je posséder cette femme ? Toi, tu feras celle-ci : Comment pourrais-je ne pas désirer posséder cette femme ? Un autre : Comment me débarrasser de ceci ? Et toi : Comment n’avoir pas besoin de m’en débarrasser ? Un autre : Oh ! si je pouvais ne pas perdre mon enfant ! Et toi : Oh ! si je pouvais
- ↑ [Sur cette doctrine, cf. notamment les notes aux pensées IV, 4, et IX, 31 ; sur le dilemme, cf. VII, 75, et la note rectifiée aux Addenda.]
- ↑ [Couat : « à ta conscience. » — On a adopté ici la conjecture de Coraï, λέγε, au lieu de λέγεις.]
- ↑ [Même argument VI, 44 (entre les notes 2 et 3).]
- ↑ [Cf. une doctrine analogue, à la fin de l’article IV, 49 ; cf. surtout Diogène Laërce, VII, 124 : εὒξεται ὁ σοφός αἰτούμενος τὰ ἀγαθὰ παρὰ τῶν θεῶν. — Voici la définition de la prière « libre », dont a déjà parlé Marc-Aurèle à la pensée V, 7 (voir la note rectifiée aux Addenda) : le mot « librement » se trouvera, d’ailleurs, trois lignes plus bas. — Sur les rapports de Dieu et de l’homme, cf. la note finale du livre VII, rectifiée aux Addenda.]
- ↑ [Couat : « te porter de côté et d’autre. » — Cf. la note finale à l’article IX, 27.]