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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

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Rappelle-toi depuis combien de temps tu diffères, à combien d’échéances fixées par les Dieux tu n’as pas répondu. Il faut enfin que tu comprennes quel est cet univers dont tu fais partie ; quel est l’ordonnateur de l’univers dont tu es une émanation ; que ta durée est enfermée dans des limites déterminées. Si tu n’emploies pas ce temps à te procurer la sérénité, il disparaîtra, tu disparaîtras aussi, — et il ne reviendra plus[1].

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À chaque heure du jour applique fortement ta réflexion, comme un Romain et comme un homme, à remplir tes fonctions exactement, avec sérieux et sincérité, avec charité,

    six fois dans cet ouvrage. On en peut rendre compte les six fois sans supposer, comme l’a fait aussi M. Michaut dans sa note préliminaire (p. xvi et xvi), une incertitude ou une défaillance de la pensée de Marc-Aurèle. À la dernière ligne du livre I, il désigne manifestement la Bonne Fortune, à qui l’empereur rend grâces, ainsi qu’aux autres dieux. Il en est de même ici : ces deux mots, θεοί, τύχη trouvent rapprochés dans les Pensées, — comme en tête des actes publics. Puisque le Stoïcien est pieux, pourquoi refuserait-il son culte à Tyché ? À la fin du premier tiers de la pensée I, 16, le mot τύχη, pourrait être remplacé par Ζεύς ; peut-être n’y faut-il voir aussi qu’une façon de parler, n’impliquant pas une conception philosophique déterminée. C’est sûrement un sens vulgaire, nullement métaphysique, qu’il convient de donner au pluriel τύχαις, employé à côté de συμφοραῖς (XII, 27). Dans le cours de la 11e pensée du livre III, il est vrai, le mot se trouve au singulier, et employé comme nom commun, en regard de σύντευξις (rencontre), qui éveille plutôt l’idée de hasard que celle de Providence ; mais le sens général de la phrase, le voisinage d’une autre proposition qui concerne les Dieux attestent que τύχη, là encore est — comme le déclare d’ailleurs, à propos d’autres textes, Simplicius, cité par Zeller (III3, p. 158, note 2) — quelque chose de θεῖον καὶ δαιμόνιον, bref, l’équivalent d’εἰμαρμένη. — Enfin, il faut, si l’on accepte le texte traditionnel, qui est contestable, interpréter de la même façon le même mot au début de la dernière pensée de ce deuxième livre.

    Ici, la traduction de τύχη par « hasard » est impossible, non seulement parce qu’elle introduirait dans la pensée la contradiction accusée par M. Couat, mais surtout parce que cette contradiction serait inutile : soumettre le hasard aux lois de la nature et à la Providence, c’est le nier aussitôt nommé. En quelque partie que ce soit des Pensées, l’hypothèse du hasard est condamnée par tous les textes où Marc-Aurèle, en nous posant sous quatre ou cinq formes diverses le même dilemme, nous oblige à prendre parti contre elle : ou les atomes — ou la nature (X, 6 ; XI, 18) ; ou les atomes — ou les Dieux (VIII, 17) ; ou les atomes — ou la Providence (IV, 3) ; ou le hasard — ou la Providence (XII, 14 et 24). La pensée 28 du livre IX oppose la commune doctrine des atomes et du hasard au Stoïcisme, doctrine de la nature universelle et des dieux. Il est remarquable que, dans toutes ces antithèses, le « hasard » est exprimé par un autre mot que τύχη (soit φυρμὸς εἰκαῖος, soit ἐπιτυχία, soit l’adverbe εἰκῆ).]

  1. αὖθις οὐκ ἔξεσται donné par A et D peut s’expliquer. — ἥξεται, donné par Gataker, est préférable.

    Exhortation à la sagesse, nécessité de connaître la raison des choses, brièveté de la vie.