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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

Eh bien, réfléchis : tu es vieux ; ne le laisse pas s’asservir, ne le laisse pas se mouvoir capricieusement et céder à des impulsions égoïstes, ne le laisse pas murmurer contre ton sort présent et redouter[1] ton sort à venir[2].

3

Ce que font les Dieux est plein de leur providence. Ce que fait la Fortune[3] ne se produit pas hors de la nature, hors de la trame et de l’enchaînement des choses que règle la Providence ; tout découle de là. Ajoutons-y la nécessité et l’utilité de l’ensemble de l’univers dont tu es une partie. Or, ce que comporte la nature du tout, et ce qui sert à la conserver, est bon pour chaque partie de cette nature. Les transformations des éléments aussi bien que celles des composés contribuent à conserver l’univers. Que ces dogmes[4] te suffisent pour toujours[5]. Repousse la soif des livres, pour mourir sans murmurer, mais avec tranquillité, en remerciant les Dieux du fond du cœur[6].

    est celle que donne du mot ἡγεμονικὸν le lexique qu’il s’était composé avant de commencer la revision de son livre. C’est la seule qu’il adopte pour certains passages (par exemple, V, 26 ; VI, 8 ; VII, 33 ; VIII, 48). Ailleurs, surtout aux livres IX et XI, il avait préféré les mots : « âme » et « conscience ». Voir à ce sujet deux notes, l’une à la 22e pensée du livre IX, l’autre à la 3e du livre XII. — Au livre VI (pensée 8), on trouvera une définition du « principe dirigeant » : définition partielle, ou trop concise, qui le résume en la volonté. Voir la note à ce texte.]

  1. ἀποδύεσθαι et les autres composés de δύεσθαι n’ont pas de sens : ὑποδεῖσαι ou ὑποδείσασθαι, conjectures de Coraï et de Gataker, valent mieux. C’est évidemment l’idée de crainte qui doit être exprimée dans ce mot.
  2. Composition de l’homme : σαρκία, πνεῦμα ou πνευμάτιον, ἡγεμονικόν. — Idée stoïcienne et chrétienne du mépris de la chair et de la brièveté de la vie. Idée de l’indépendance de la volonté et de la résignation au destin, — je traduis ἀκοινώνητος par égoïste. Ce mot signifie exactement : « ce qui n’est pas conforme au bien de la communauté des hommes. » C’est donc encore l’idée de solidarité. Indépendance et solidarité, opposition constante de l’individu et de ce qui l’entoure, et en même temps nécessité pour l’individu de n’agir que pour le bien de la communauté, cette antithèse se retrouve sans cesse dans Marc-Aurèle. Comment concilie-t-il les deux termes ?
  3. [Couat : « le hasard. » — Voir la dernière note à cette pensée.]
  4. [Couat : « principes. » ]
  5. εἰ δόγματά ἐστι donné par A et D ne se comprend pas. J’adopte ἀεὶ δόγματα ἔστω, qui est la vulgate.
  6. Singulière métaphysique, où l’on paraît admettre simultanément la Providence, le hasard, la nécessité unis pour conserver l’univers, c’est-à-dire la nature, au moyen de lois conçues en vue de son utilité. [Mais, en réalité, Marc-Aurèle n’admet pas le hasard ; surtout il ne peut admettre cette hypothèse — qui est épicurienne — en même temps que celle de la Providence. Le mot τύχη a pu être employé, en deux sens d’ailleurs très différents, par les Épicuriens comme par Marc-Aurèle : c’est que les Épicuriens et Marc-Aurèle ne parlent pas la même langue. Ce mot ne se rencontre que