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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

de chaque chose : ceci me vient de Dieu ; ceci est le résultat[1] de l’entre-croisement des faits et de leur rencontre dans la trame ourdie [et tissée] par la Fortune[2] ; ceci me vient d’un compagnon de tribu, d’un parent, d’un associé qui ne sait pas ce qu’il doit faire conformément à la nature. Mais moi je le sais ; aussi je le traite avec bienveillance et justice, suivant la loi naturelle de la solidarité. Je m’applique en même temps à assigner leur véritable prix aux choses indifférentes.

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Si tu fais l’œuvre du moment présent, suivant la droite raison, avec zèle, avec énergie, avec douceur, sans te laisser détourner par rien d’accessoire, mais en conservant ton génie pur comme s’il te fallait déjà le rendre ; si tu t’attaches à cela, sans rien attendre et sans rien fuir, te contentant d’agir dans le moment présent d’après la nature et d’observer courageu-

    qui les désigne et qui se répète, à quelques lignes de distance, en termes presque identiques (ἐκ τίνων συγκέκριται…, ἐξ ὤν συνεκρίθη…), est sans doute assez vague ; mais quant au principe que Marc-Aurèle nomme ἀναφορά (littéralement : rapport) et que nous traduisons assez librement (voir le livre XII) par les mots de « fin » ou de « cause finale », c’est peut-être ici (des mots ὀποίῳ τινὶ τῷ κὀσμῳ = « ce qu’est l’ensemble auquel il appartient » jusqu’à ὥσπερ οἰκίαι εἰσίν = « sont comme les maisons ») qu’on en trouverait la définition la plus exacte. C’est d’abord le rapport des choses à l’univers, — un rapport de finalité, sans doute, s’il est vrai que les choses soient faites pour l’univers ; mais c’est ensuite le rapport assez différent des choses à l’homme, citoyen de ce même univers en qui il trouve également sa fin.

    La présente phrase et celles qui suivent expriment le rapport inverse, — celui de l’homme aux choses, — qui se déduit naturellement de tout ce qui précède. On n’en trouvera pas l’équivalent à la pensée XII, 17–18, — à laquelle ce texte peut ainsi servir à la fois de paraphrase ou de commentaire, et de conclusion.]

  1. [M. Couat semble avoir oublié ici un mot : ούλληξιν, qui signifie d’ordinaire « groupement par tirage au sort », ou simplement « réunion fortuite », et qui a pu sembler étrange chez Marc-Aurèle. On a proposé de lire ούννησιν. Cependant, on admet bien τύκη) dans la même phrase (cf. la note suivante). Évidemment, les deux sens de ces deux mots — qu’il faut savoir entendre — doivent confiner. Pour un Stoïcien, ούλληξις signifiera à peu près « la réunion dans un même destin ». On a vu, à la fin du livre I, Marc-Aurèle rendre grâces aux Dieux et à la Bonne Fortune, c’est-à-dire à la Providence ; les Stoïciens peuvent adorer la Providence sous le nom de cette autre déesse, la Parque (ούλληξις est un mot de même famille que Λάχεσις) qui tient le fil de nos destinées. Plus bas (IV, 34), c’est à Clotho (dont le nom se retrouve ici dans le mot ρύγκλωσις) que Marc-Aurèle nous engage à nous abandonner. — Il était difficile de rendre le mot lui-même que M. Couat paraît avoir négligé : j’en ai mis l’équivalent dans la phrase, une ligne plus loin.]
  2. [La Fortune, et non le hasard. Il s’agit ici de la divinité nommée à la dernière ligne du livre I, et qui, pour les Stoïciens, s’identifiait avec l’{{lang|grc|eî|εἰμαρμένη} (Zeller, III3, p. 158, n. 2). Sur l’emploi du mot τύχη) dans les Pensées, cf. supra II, 3, dernière note.]