Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
PENSÉES DE MARC-AURÈLE

est pour cet ensemble[1], quel est son prix par rapport au tout et aussi par rapport à l’homme, citoyen de la cité supérieure dont toutes les autres cités sont comme les maisons : qu’est-il ? de quoi est-il composé ? combien de temps doit-il durer, cet objet que je me représente en ce moment[2] ? de quelle vertu ai-je besoin vis-à-vis de lui, douceur, courage, sincérité, confiance, simplicité, force d’âme, etc.[3] ? Il faut donc se dire à propos

    ici. Mettre une chose à nu, c’est lui ôter tout le prestige qu’elle tient de la mode, de l’orgueil, de notre imagination et de notre sensualité. L’opposition, à la pensée VII, 68, de πατ′ οὐσίαν et πατὰ δόξαν me paraît mettre hors de doute les explications qui précèdent.

    L’interprétation des mots qui suivent est moins certaine : on peut presque dire qu’ὄλα est le plus vague des neutres ; διῃρημένως a deux sens également plausibles, celui que lui donne Marc-Aurèle en un autre passage (XI, 16) et celui que suggère l’acception ordinaire de διαίρεσις (surtout à la pensée XII, 2) : il veut dire ou « séparément », ou « en faisant l’analyse ». Enfin, les mots peuvent ici se grouper différemment, soit qu’on fasse d’ὅλον δι′ ὄλων une expression irréductible, soit qu’on voie en δι′ ὄλων (mais alors διἀ est presque inutile) le régime de διῃρημένως. C’est dire que j’accepterais à la rigueur les diverses traductions que mes devanciers ont données d’ὅλον δι′ ὄλων διῃρημένως, sauf pourtant celle de M. Michaut (« extrait dans sa totalité de la totalité des choses »), qui confond ὅλα et τὰ ὅλα. J’en ai moi-même entrevu deux autres : la définition, la description de l’objet, la distinction de ses éléments, sa localisation dans l’univers, tout cela implique « une analyse minutieuse et complète », c’est-à-dire une analyse (διῃρημένως) qui ne néglige aucun caractère accessoire (δι′ ὄλων), et nous permet d’atteindre l’objet même de notre représentation non pas en partie, mais tout entier (ὅλον). Cette dernière interprétation et celle que j’ai imprimée ci-dessus, qui ne diffèrent que par la traduction de διῃρημένως, me semblent garanties pour le reste par deux lignes de la pensée VI, 13, la même à laquelle je demandais tout à l’heure l’explication de γυμνόν : « καθικνούμεναι αὐτῶν τῶν πραγμάτων καὶ διεξιοῦσαι δι′ αὐτῶν, ὤστε ὀρᾶν κτλ. »]

  1. [Couat : « pour lui. »]
  2. [τοῦτο, τὸ τὴν φαντασίαν μοι νῦν ποιοῦν. — Voilà une définition précise du mot φανταστόν, employé au début de cette pensée (cf. la 1re note). Elle était courante dans l’école, et on la retrouve dans les fragments de Chrysippe (Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 71, n. 3). Quand nous sommes dupes d’une illusion, que l’objet de notre représentation n’est pas réel, celle-ci ne se nomme plus φαντασία, mais φάντασμα. Tel paraît être du moins l’usage de Marc-Aurèle (cf. Pensées, III, 4 ; XI, 19) : d’autres Stoïciens, plus subtils, ont désigné par le mot φάντασμα l’objet de la représentation qui nous abuse, bien que dépourvu de réalité, et l’ont ainsi distingué de cette représentation même, qu’ils appelaient φανταστικόν (Zeller, l. l., p. 71, n. 3).

    J’ai traduit τὸ τὴν φαντασίαν ποιοῦν par : « l’objet de la représentation. » Littéralement, cette expression signifie : « ce qui provoque la représentation. » Le verbe ποιῶ a exactement la même valeur ici que dans l’expression πόλεμον ποιῶ (bellum moveo), que les grammairiens distinguent si soigneusement de πόλεμον ποιοῦμαι (bellum gero).]

  3. [Couat : « force d’âme, et le reste » ?

    On peut considérer tout ce qui précède cette phrase comme un développement des dernières lignes de la pensée 17–18 du livre XII. Les quatre questions que Marc-Aurèle s’y pose à propos de chaque objet, et qui s’y résument chacune en un mot (αἴτιον, ὑλικόν, ἀναφορά, χρόνος), ce sont des phrases qui les expriment ici. — Pour le principe efficient (αἴτιον), ou détermination, ou qualité (ποιόν), et pour la substance (οὐσία), ou matière (ὔλη)), dont les noms, au lieu de s’opposer dans une antithèse, sont réunis dans une expression (ὁποῖον κατ′ οὐσίαν) qui n’exprime (cf. la 2e note à cette même pensée) que le produit de ces deux facteurs, la phrase