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Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/55

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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

l’autre n’est que la décomposition[1]. Il n’y a rien là dont personne ait à rougir ; cela n’est nullement contraire à la loi de l’être raisonnable et au plan de sa constitution.

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C’est une nécessité de la nature que des gens de cette espèce agissent ainsi. Celui qui ne le veut pas veut que la figue n’ait pas de suc. Pour conclure, rappelle-toi que dans un temps très court toi et cet autre vous serez morts ; peu après, il ne restera même plus votre nom.

    Marc-Aurèle les retrouve en nous, tous les quatre, à côté de l’intelligence, qu’il met à part : il semble que celle-ci soit constituée d’un cinquième élément, plus subtil encore et plus pur que le feu lui-même. Lorsqu’il adapte ainsi à son Stoïcisme la doctrine péripatéticienne de la quinta natura (cf. encore XI, 20, et la note finale), Marc-Aurèle paraît s’écarter de la tradition de Zénon, qui, au rapport de Cicéron (Acad. I, 11, 39), déclarait cette notion superflue : statuebat enim ignem esse ipsam naturam, quae quidque gigneret, et mentem alque sensus. En marquant entre le feu et le « feu artiste » une différence que peut-être personne avant lui dans l’école n’avait jugée aussi profonde, l’auteur des Pensées voulait, sans doute, épurer le concept du « dieu intérieur ». Il ne l’a, d’ailleurs, jamais conçu comme absolument immatériel ; il n’a non plus jamais prétendu, comme Aristote, que la raison nous vînt du dehors (θύραθεν), si ce n’est lorsqu’il disait, comme ici, en langue de panthéiste, que tout en nous vient du dehors. Au contraire, il s’est représenté la raison (V, 33) comme alimentée par les exhalaisons du sang, de même que les astres par les émanations de la mer. Et cela est la pure doctrine du Portique. — Il n’en est pas moins vrai qu’en dédoublant l’âme, il a été insensiblement conduit à la mutiler. C’est ainsi qu’assez souvent (V, 33, note finale ; XI, 20 ; 14, etc.) l’opposition que sa piété s’est complu à chercher entre le « souffle ou la flamme », c’est-à-dire vraisemblablement l’âme animale, et le principe directeur semble rapprocher celle-là du corps lui-même ; et qu’une fois il les a véritablement confondus (IV, 3, 5e note). De là, certaines incertitudes, sinon certaines contradictions de sa doctrine.]

  1. ἐκ τῶν αὐτῶν στοιχείων εἰς ταὐτά. — Gataker a remarqué qu’il y avait une lacune entre στοιχείων et εἰς. Il propose d’ajouter les mots καὶ διάκρισις (ou mieux διάλυσις) εἰς ταὐτά. Le sens de la phrase est, d’ailleurs, très clair. La même idée se rencontre plusieurs fois dans Marc-Aurèle, notamment VIII, 18, et X, 1, avec le mot διαλύεσθαι.

    [La pensée 14 de ce même livre confine également à celle-ci. La « raison séminale », λόγος σπερματικός, dont il y est question (voir la note), doit être pourtant distinguée du λόγος τῆς παρασκευῆς que M. Couat traduit ici par « le plan de sa constitution ». Le même mot dans ces deux expressions me paraît avoir deux acceptions différentes. Dans la première, λόγος a gardé le sens de « raison » ; dans la seconde, il a pris un sens dérivé (cf. IV, 12, en note), que ne lui donnent pas les dictionnaires du grec classique, mais qu’on trouvera dans les dictionnaires latins au mot ratio. Le λόγος σπερματικὸς est une réalité matérielle, une force agissante ; — au moins pour Marc-Aurèle, que rebutaient les subtilités de la physique, et qui devait, comme Sénèque (ad Lucilium, CXIII), trouver fastidieuse et absurde la question de savoir si le bien est corps, ou si les vertus sont des animaux, le λόγος τῆς παρασκευῆς n’est guère qu’une notion ou un concept.

    Le contexte, les mots τὸ ὲξἤς τῷ νοερῷ ζῳῳ m’ont paru imposer cette interprétation du λόγος τῆς παρασκευῆς, bien que la ressemblance des noms lui prêtât une parenté soit avec le λόγος σπερματικός, qui est à l’origine de l’être créé et appartient