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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

après tant d’efforts sont bientôt tombés et se sont dissous[1] dans les éléments des choses. Rappelle-toi surtout ceux que tu as connus toi-même, s’agitant vainement et négligeant de faire ce qui était conforme à leur propre constitution, de s’y tenir fortement et de s’en contenter. Il est nécessaire que ces exemples, à propos de chaque action, nous permettent de mesurer et nous rappellent ce que valent les soins que nous prenons d’elle[2]. Le moyen [en effet] de n’avoir pas de dégoûts, c’est de ne pas s’appliquer plus qu’il ne convient aux petites choses.

    nations entières. » Les manuscrits donnent : τἀς ἄλλας ἐπιγραφἀς χρόνων καὶ ὄλων ἐθνῶν. Si les quatre premiers mots peuvent être interprétés, c’est plutôt, me semble-t-il, comme l’a fait M. Couat ; on pourrait supposer, par exemple, l’expression de Marc-Aurèle calquée sur la formule usuelle : ἐπιστολὴ ἐπιγεγραμμένη τὴν ήμέραν (= lettre datée). Il est vrai que le mot « date » admet des sens assez divers, et qu’il y a quelque différence entre la date écrite en tête d’une lettre et une période d’histoire. Cette explication est donc assez pénible ; encore plus pénible la construction que M. Couat admet (après le second καὶ) de la locution αί… ἐπιγραφαὶ χρόνων avec un autre génitif (les dates, c’est-à-dire les époques, c’est-à-dire l’histoire de toutes les nations). Enfin ὄλος, à l’époque de Marc-Aurèle (cf. infra IV, 48, dans une pensée très voisine de celle-ci : πόλεις ὄλαι) n’avait pas encore usurpé l’emploi de πας. — C’est évidemment par un autre détour que M. Michaut, cherchant à traduire ἐπιγραφἀς, est arrivé au sens d’« histoire ». Pour lui, ή ἐπιγραφή, c’est τὸ ἐπιγεγραμμένόν ἐπί τινος, mais à condition d’interpréter ἐπὶ comme περὶ (au sujet de). Ce sens est tout théorique ; on voudrait qu’un exemple le justifiât. — Pierron, au contraire, a pris ἐπιγραφὴ (inscription) dans une de ses acceptions usuelles. Mais si l’on peut dire qu’une époque est disparue et comme morte, n’y aurait-il pas, même en grec, une audace de langage excessive à nous en présenter la tombe et l’épitaphe ? D’autre part, la construction générale de la pensée qui a déjà deux fois à l’idée de mort opposé les mots τοὺς καιρούς, fait ici encore attendre un synonyme de τοὺς καιρούς, et non de θάνατος, avant ἕπεσον.

    Le texte doit être mutilé. Au lieu d’ἐπιγραφάς, j’ai lu περιγραφάς. La locution περιγραφαὶ χρόνων (périodes de temps) est de bon aloi. Je suppose ensuite entre χρόνων et καὶ la chute d’une ligne qui devait également commencer par καὶ (par exemple : καὶ τὸν βίον μὴ μόνον ἀνὂρῶν τινων ἀλλὰ καὶ…). La superposition de deux mots identiques à un intervalle d’une ligne aura facilité l’erreur du moine qui dictait aux scribes.]

  1. [Couat : « ont été dispersés. » Dans deux notes (la 3e et la 7e) à une pensée précédente (IV, 21), où διάλυσις a été traduit par « dissolution », j’ai dit que l’hypothèse de la « dispersion » était épicurienne et non stoïcienne.]
  2. [Couat : « C’est ainsi qu’il est nécessaire de se souvenir que l’on doit s’attacher à chaque action suivant sa valeur et sa mesure. » J’ai craint que cette phrase, qui est d’ailleurs plutôt une interprétation qu’une traduction du texte grec, ne semblât point assez claire. Je ne doute point que pour M. Couat aussi ὦδε, qu’il traduit littéralement, ne signifie : « à l’aide de telles réflexions, » ou : « par ces exemples ; » je suis moins sûr qu’il ait vu dans la mort cette « unité de mesure » (συμμετρία) à laquelle Marc-Aurèle rapporte toutes les actions humaines, ou plus précisément tous les soins que nous demande chacune d’elles. C’est à peu près la même idée qui est développée un peu plus bas (IV, 48) : le spectacle des morts de médecins, de savants, de philosophes, de généraux, de tyrans ; le souvenir de villes entières disparues ; celui des voisins qui sont partis aussi doivent nous montrer combien les choses humaines sont « éphémères et de peu de prix ».]