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BIBLIOTHÈQUE DES UNIVERSITÉS DU MIDI

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Tels mots usités autrefois ont fini dans les dictionnaires d’archaïsmes ; de même les noms des hommes les plus célébrés autrefois sont devenus aussi des sortes d’archaïsmes : Camille, Céson, Volésus, Léonnat, bientôt après Scipion et Caton, puis Auguste, puis Hadrien et Antonin. Tous ces noms s’effacent très vite et se perdent dans la légende ; très vite même s’amoncelle sur eux l’oubli définitif[1]. Et je parle ici des hommes qui ont jeté un éclat extraordinaire. Quant à tous les autres, à peine ont-ils exhalé leur dernier souffle, « qu’on ne les connaît plus, on n’en parle plus[2]. » Et qu’est-ce même enfin que l’immortalité du souvenir ? Rien que vanité. Quel est donc l’objet où nous devons porter nos soins ? Un seul : avoir les pensées d’un homme juste[3], agir pour le bien de tous et être incapables de mentir et disposés à accueillir tout ce qui nous arrive comme chose nécessaire, connue, découlant de la même origine[4] et de la même source que nous.

34

Abandonne-toi sans réserve à Clotho[5] ; laisse-la tresser le fil de ta vie avec les événements qu’elle voudra.

35

Tout est éphémère, ce qui perpétue le souvenir et ce dont le souvenir est perpétué.

36

Considère sans cesse que tout naît par suite d’un changement, et prends l’habitude de comprendre que la nature universelle n’aime rien tant que de changer ce qui est pour en faire des choses nouvelles [toutes] semblables. Tout ce qui existe est en quelque façon la semence de ce qui en doit

  1. [Couat : « l’oubli complet les engloutit. » J’ai cherché à traduire le mot κατέχωσεν.]
  2. [Odyssée, I, 242.]
  3. [Couat : « une intelligence droite. »]
  4. ἀπ′ ἀρχῆς τοιαύτης : τῆς αὐτῆς, qu’a conjecturé Ménage, serait plus clair.
  5. [Clotho, la Parque, pour Marc-Aurèle, c’est encore la Providence (cf. Chrysippe, dans Stobée (Ecl. I, 180 et 182) : ce nom ne semblera pas plus extraordinaire dans ce livre que celui de la Bonne Fortune. Cf. supra II, 3, dernière note (page 20) ; III, 11, 6e note (page 41, note 2).]