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que réside ton mal ; ce n’est pas non plus dans une modification du corps qui t’enveloppe l’âme. Où donc est ce mal ? Là où réside la faculté que tu as de te faire une opinion sur les maux. Ne te fais pas cette opinion, et tout est bien. Quand même tout proche d’elle ton misérable corps serait coupé, brûlé, quand il tomberait en décomposition et en pourriture, que la partie de toi-même qui se forme une opinion là-dessus demeure tranquille, je veux dire qu’elle ne considère ni comme un mal ni comme un bien ce qui peut arriver également au bon et au méchant. Ce qui arrive également à l’homme qui vit contrairement à la nature[1], et à celui qui vit d’accord avec elle, n’est en effet ni conforme ni contraire à la nature.

40

Pense toujours à ceci : l’univers n’est qu’un seul être, n’ayant qu’une matière[2] et qu’une âme ; toute sensation se ramène à sa sensibilité, qui est une ; tout acte est accompli par son activité, qui est une ; tout est la cause de tout ; les choses sont étroitement unies et ne forment qu’une trame.

41

Tu n’es qu’une âme chétive portant un cadavre, comme dit Épictète.

42

Les changements que subissent les êtres ne leur causent aucun mal, et ils n’éprouvent aucun bien du changement par lequel ils existent.

43

Le temps est un fleuve rapide dont les événements sont les flots ; à peine chacun d’eux apparaît-il qu’il est déjà emporté, puis un autre est emporté à son tour et le premier va revenir[3].

  1. [Aug. Couat accepte ici la conjecture de Gataker, comblant une lacune évidente du texte par les mots καὶ τῷ παρὰ φύσιν.]
  2. [Couat : « substance. » — Voir plus haut IV, 21, et la dernière note. C’est d’ordinaire αἰτία, et non ψυχή, qui s’oppose à οὐσία. Ici encore, ψυχὴ et αἰτία nous apparaissent donc comme synonymes (cf. aussi V, 23, et la longue note).]
  3. [Var. : « et voici qu’un autre est emporté à son tour et qu’un autre va l’être. »]