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Page:Pensées de Marc-Aurèle, trad. Couat.djvu/89

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PENSÉES DE MARC-AURÈLE

convienne. Tu dois donc, pour deux raisons, aimer ce qui t’arrive : d’abord, parce que cela s’est produit pour toi, a été ordonné pour toi, et, inséré dans la trame des causes les plus lointaines, devait avoir avec toi un rapport déterminé[1] ; ensuite, parce que ce qui survient à chacun est pour celui qui gouverne l’univers la cause de son succès, de sa perfection et, par Zeus, de sa durée elle-même. L’intégrité des causes est altérée comme le serait celle des parties d’un tout si l’on porte atteinte à leur agencement et à leur continuité. En te plaignant d’elles, tu leur portes atteinte autant qu’il est en toi, et, dans une certaine mesure, tu les détruis.

9

Ne te dégoûte point, ne renonce point, ne te décourage point, si tu ne réussis pas toujours à diriger tes actes d’après les vrais dogmes[2]. Après en avoir été violemment écarté, reviens-y[3], et réjouis-toi si tes actions ont été le plus souvent celles d’un homme : aime la règle à laquelle tu reviens[4] ; ne retourne pas à la philosophie comme un écolier chez le pédagogue, mais comme les gens affligés d’une ophtalmie recourent à leur éponge, à leur blanc d’œuf, d’autres à leurs emplâtres ou à leurs lotions. Ainsi, tu montreras qu’il ne t’en coûte[5]

  1. [Couat : « était en quelque sorte en harmonie avec toi, inséré dans la trame des causes les plus lointaines. » — Ce malencontreux « en quelque sorte » que nous trouvons aussi dans les traductions de Pierron et de M. Michaut, doit représenter le mot πως de la locution πρὸς σέ πως εἷχεν. En réalité, il s’agit ici de la dernière des « catégories » stoïciennes, le πρός τί πως ἔχον, ou la « relation » (infra VI, 14, 1re note ; cf. Zeller, Phil. der Gr., III3, p. 101).]
  2. [Couat : « principes. »]
  3. [Var. : « Après avoir échoué, recommence. »]
  4. [Couat : « Aime à revenir aux mêmes règles de conduite. » — Cf. supra IV, 31 : τὸ τεχνίον, ὃ ἔμαθες, φἰλει, τούτῳ προσαναπαύου.]
  5. [Couat : « Ainsi, il ne t’en coûtera rien… » — En note : « οὐδὲν ἐπιδείξῃ. Cette leçon, qui est celle des manuscrits A et D, peut à la rigueur s’expliquer. Il faudrait traduire : « Tu prouveras qu’obéir à la raison n’est rien (c’est-à-dire : est facile), mais tu te reposeras sur elle. » On reconnaîtra cependant que ce tour est peu grec (la clarté et l’usage exigeraient un participe entre οὐδὲν et ἐπιδείξῃ)), et que οὐδὲν τοῦτ′ ἔστι (littéralement : ce n’est rien) signifie à l’ordinaire plutôt : « cela ne vaut rien » que : « la chose est facile. » Aussi ai-je préféré adopter la correction de Coraï : οὐδὲν ἔτι δήξει, qui suppose dans le manuscrit une confusion due à l’iotacisme. Il me semble aussi que l’opposition des deux propositions est ainsi bien plus nettement marquée. » — Le malheur est que la troisième personne δήξει n’est pas classique. Le futur de δάκνω n’est pas δήξω, mais δήξομαι. Dans ces conditions, le plus simple était de supposer la chute dans les manuscrits d’un ou deux mots, comme σοι ἐνοχλοῦν, ou même σε δάκνον, entre οὐδὲν et ἐπιδείξῃ.]