Page:Pere De Smet.djvu/56

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avaient dû laisser inachevé en quittant Whitemarsh. Après dix-huit jours de marche, on atteignit Wheeling.

Ses ressources ne lui permettant pas de fréter un bateau, le P. Supérieur se contenta de deux bacs, solidement attachés l’un à l’autre. Sur le premier prirent place les serviteurs noirs avec les bagages ; le second fut occupé par les missionnaires ; puis les frêles embarcations furent abandonnées au cours paisible de l’Ohio. « La Belle Rivière » coulait alors entre deux lignes d’épaisses forêts. À peine distinguait-on çà et là quelques misérables cabanes. Cincinnati, Louisville, Madison, n’étaient encore que des villages.

Les voyageurs avançaient jour et nuit, s’arrêtant seulement pour acheter des provisions. Le P. Van Quickenborne maintenait à bord les exercices du noviciat. La cloche sonnait le lever, la méditation, l’examen de conscience. La messe était célébrée tous les matins. On eût dit un monastère flottant.

Le voyage n’était pourtant pas sans danger. À différentes reprises, de violents coups de vent faillirent faire échouer l’embarcation. Il fallait se défier des arbres tombés en travers du fleuve et des chicots émergeant à peine de l’eau.[1] Parfois, on se guidait difficilement à travers

  1. « Les arbres que le courant arrache au rivage flottent quelque temps à la surface de l’eau, jusqu’à ce que leurs racines s’engagent dans la vase. La partie supérieure du tronc s’aiguise par le frottement continuel du courant. Ces pointes sont appelées snags ou poignards. Le plus souvent, les snags se cachent traîtreusement sous l’eau. Malheur au steamer qui va au-devant de ces chicots invisibles ! Il sera éventré comme une coque d’œuf ». (Jules Leclercq, Un été en Amérique. Paris, 1877, p. 166).