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NÊNE.

n’est pas vrai, vous êtes un grand menteur ! Les Dissidents, que le diable les brûle !

Il fit un nouveau signe de croix, et, tranquille, paré contre tout accident, s’assit, les pieds vers la cheminée.

Madeleine avait repris sa besogne sans trop s’occuper de lui. Elle le connaissait depuis vingt ans et elle était habituée à ses propos et à ses gestes.

C’était, ce Jules, un innocent bien curieux. Bas d’esprit plus qu’un petit enfant, il avait cependant une mémoire étonnante. Il connaissait tous les villages à cinq lieues à la ronde ; il connaissait tous les champs, tous les sentiers, tous les arbres. Par les nuits les plus noires il voyageait sans jamais s’égarer et sans jamais allonger son chemin, même dans des coins de pays où il n’était passé qu’une fois. Il savait le nom de chacun ; quelquefois, pour les jeunes, il rappelait le temps qu’il faisait le jour de leur baptême, le nom du parrain, de la marraine et si l’on avait donné des dragées. Quand on lui demandait ces renseignements il répondait tout de suite, sans chercher même l’espace d’une seconde.

Il était très doux et se fâchait seulement quand on faisait semblant de le marier et qu’on y mettait de l’insistance. Si l’on voulait se débarrasser de lui, on prenait un papier et on lisait : « Au nom de la loi, Jules l’innocent, je te marie avec… » Il se sauvait à toutes jambes. Un jour que des jeunes gars avaient fait ces simagrées après avoir barricadé la porte, il les avait mordus et avait sauté à la fenêtre comme un chat.