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L’ÉPOUSE ET LA MÈRE

alors qu’ils « tassent leurs abatis ». Ces déchets, à moitié pourris et toujours humides, ne se consument pas facilement, et il est souvent nécessaire de ramasser deux fois et même trois fois ces lourds déchets calcinés pour les livrer de nouveau à l’incendie. C’est un rude travail que le colon n’exécute qu’en y mettant la force physique d’un terrassier. Et lorsque, fourbu, il entre à son foyer au soir d’une journée de « tassage », il est presque méconnaissable ; non seulement ses habits ne sont souvent plus que des haillons, mais les mains et la figure noircies par la cendre et le charbon, il a lui-même l’apparence d’un charbonnier. Une fois que le feu a fait son œuvre et que la terre est débarrassée des détritus de la forêt, il faudra enlever les souches qui, au prix d’un grand effort, peuvent être déracinées à force d’hommes ou de chevaux. Là maintenant, le colon peut confier à la terre une première semence, mais son travail ne sera pas fini. Il lui faudra construire son camp, son écurie, sa grange et ses clôtures ; il lui faudra encore creuser des rigoles et des décharges pour égoutter son champ et chasser l’eau et le froid que la mousse, comme une éponge, a retenus depuis si longtemps. Bref, pour mettre son lot en rapport, le colon a besoin de beaucoup de travail, d’endurance et de persévérance. Les mauvais chemins et même l’absence totale de chemins, l’éloignement des voisins et peut-être des centres de ravitaillement, les enfants sans école, les dimanches sans église et sans messe, la maladie sans possibilité d’avoir le médecin, le camp souvent trop petit et sans confort, l’hiver avec ses froids rigoureux et l’été avec ses moustiques insupportables, le colon doit avoir le courage de tout endurer. Si le succès est à ce prix, la récompense n’est cependant pas lente à venir, contrairement à la lutte souvent sans espoir que livre l’ouvrier des villes. La paroisse s’organise ; l’école-chapelle dresse sa modeste flèche vers le ciel ; le nouveau curé s’occupe de la construction des écoles ; les chemins, les routes et les ponts se construi-


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