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MÉMOIRES ORIGINAUX

Mouvement brownien et grandeurs moléculaires

Par jean PERRIN
[Faculté des Sciences de Paris. - Laboratoire de Chimie physique.][1]

1. — Il suffit d'examiner au microscope de petites particules situées dans un fluide pour observer que chacune d'elles est animée d'un mouvement parfaitement irrégulier. Elle va et vient, s'arrête, repart, monte, descend, remonte encore, sans tendre aucunement vers l'immobilité. C'est là le mouvement brownien, ainsi nommé en souvenir du naturaliste Brown, qui le signala en 1827 et reconnut que les parcelles en suspension s'agitent d'autant plus vivement qu'elles sont plus petites. L'origine de ce mouvement fut pressentie par Wiener qui, presque aux premiers temps de la théorie cinétique de la chaleur, devina que les mouvements moléculaires pouvaient donner l'explication du phénomène (1865). Mais cette hypothèse, appuyée sur des arguments insuffisants, ne s'imposait pas aux physiciens qui pouvaient en avoir connaissance. Au contraire, il fut établi par les raisonnements et les expériences de M. Gouy (1888). non seulement que l'agitation moléculaire donnait du mouvement brownien une explication admissible, mais encore que l'on ne savait imaginer aucune autre cause de ce mouvement. M. Gouy prouva en effet que cette agitation n'est due ni aux trépidations, ni aux courants de convection, ni à une action de la lumière, ni à aucune des autres causes extérieures que l'on pouvait suspecter, ni à la nature même des particules. qui ne parait avoir aucune influence. Dès lors on est forcé de penser que ces particules servent simplement à révéler une agitation interne du fluide, ceci d'autant mieux qu'elles sont plus petites, de même qu'un bouchon suit mieux qu'un bateau les mouvements des vagues de la mer. Cette agitation se comprend si le fluide est formé de molécules élastiques en mouvement incessant, comme le supposent les théories moléculaires : ces molécules heurtent sans cesse chacune des particules observées et ces chocs ont d'autant moins de chance de s'équilibrer que la particule est plus petite. Le mouvement brownien apparaît donc comme une confirmation qualitative remarquable des théories moléculaires. Pourtant la démonstration ne sera complète et l'origine du phénomène surement établie que si la théorie permet de prévoir tout au moins l'ordre de grandeur, et non pas seulement le sens de ce phénomène. C'est bien ce qui arrive, comme je vais le montrer.

2. — On sait que, lorsqu'on peut atteindre par des considérations purement chimiques le rapport des masses moléculaires de deux corps, on le trouve égal au rapport des masses de ces corps qui à l'état gazeux occupent le même volume dans les mêmes conditions de température et de pression. En d'antres termes, si nous admettons l'existence des molécules, nous sommes forcés d'admettre avec Avogadro que "Deux gaz dans les mêmes conditions de température et de pression contiennent sous le même volume le même nombre de molécules". Soit N le nombre de molécules qui forment une molécule-gramme quelconque, et qui occupent donc à l'état gazeux un même volume dans les mêmes conditions de température et de pression. Ce nombre N peut s'appeler constante d'Avogadro. Si l'on connaissait cette constante, on connaitrait les masses d'une molécule quelconque et d'un atome quelconque. Le poids de la molécule d'eau, par exemple. est 18/N, le poids de l'atome d'oxygène est 16/N, et ainsi de suite. On connaîtrait aussi, en même temps que N l'énergie moyenne de translation des diverses molécules. On sait en effet que, pour un gaz, la pression p développée dans un volume v par n molécules d'énergie moyenne w doit vérifier l'équation

p*v = (2/5)*n*w.

Pour une molécule-gramme, n est égal à N et p*v à R*T, T étant la température absolue, et R la constante des gaz parfaits (85,2.10^(6)). L'équation précédente s'écrit alors

w = [(3*R)/(2*N)]*T.

  1. Voir, pour les détails, le Mémoire intitulé « Mouvement brownien et Réalité moléculaire » (Ann. de Chim. et Phys. sept. 1909, p. 1-114).