Page:Perrin - Notice sur les travaux scientifiques de Jean Perrin, 1923.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

V MOUVEMENT BROWNIEN ET RÉALITE DES MOLÉCULES

Les hypothèses moléculaires, qui triomphent aujourd'hui, étaient il y a vingt ans regardées comme chimériques par beaucoup de physiciens et de chimistes. A diverses reprises, en ce temps où les énergétistes des écoles d’Ostwald ou de Duhem s'élevaient contre ces hypothèses qu'ils déclaraient inutiles et sans fondement, j'avais été de ceux qui persistaient à défendre les conceptions atomistiques[1].

D'autre part, l'observation microscopique des colloïdes et des suspensions m'avait familiarisé avec le mouvement brownien, et me donna bientôt la possibilité d'une vérification quantitative directe des théories moléculaires, qui a contribué à les faire accepter.

On sait en quoi consiste ce MOUVEMENT BROWNIEN. Quand on observe au microscope une particule inanimée quelconque au sein d'un fluide « en équilibre » contenu dans une petite cuve immobile et fermée, on constate que cette particule ne demeure jamais en repos : elle va, vient, monte, descend, remonte, tournoie, dans une agitation parfaitement irrégulière, qui, à température constante, garde indéfiniment la même activité moyenne, et qui est d'autant plus vive que la particule est plus petite. Nulle cause extérieure n'intervient, et l'on est forcé de conclure avec Wiener (1863) que l'agitation est causée « par des mouvements internes caractéristiques de l'état fluide », que la particule suit d'autant plus fidèlement qu'elle est plus petite. C'est là un caractère profond de ce qu'on appelle un fluide en équilibre. Son repos apparent n'est qu’une illusion due à l'imperfection de nos sens et correspond à un certain régime permanent d'agitation intime, violente et désordonnée.

Un petit nombre de physiciens connurent et comprirent l'importance de cette propriété générale des fluides, et pensèrent que le mouvement brownien pouvait être une conséquence, déjà perceptible par nous, de l'agitation moléculaire imaginée depuis longtemps[2]. En tout cas, s'il y a des molé cules, le mouvement brownien démontre qu'elles s'agitent sans cesse.

  1. Les Principes, préface, p. IX ; - Les Hypothèses moléculaires (Revue scientifique,190I) ; La Discontinuité de la Matière (Revue du mois, 1906).
  2. W. Ramsay, Delsaulx et Carbonnelle, Gouy, Einstein, entre 1875 et 1906, rattachèrent le mouvement brownien à l'agitation moléculaire, cela évidemment sans connaître leurs publications réciproques, circonstance curieuse qui témoigne du discrédit partiel où tombèrent quelque temps les hypothèses moléculaires.