Page:Perrin - Notice sur les travaux scientifiques de Jean Perrin, 1923.djvu/31

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l'existence des molécules. Et les valeurs qui en résultent pour les masses de ces molécules, par comparaison des élévations qui correspondent à la même raréfaction, inspireraient déjà confiance, même si l'on n'avait pas d'autre moyen d'obtenir ces grandeurs moléculaires.

Je pense, en particulier, qu’on se fierait aux valeurs ainsi obtenues plus qu'on ne faisait pour celles qu’avait obtenues la théorie cinétique de la viscosité des gaz par des raisonnements dont l'extrême pénétration n'empêche pas qu'ils sont embarrassés de difficultés mathématiques qui imposent des approximations incertaines.

En tout cas, la confiance qu’on accorderait à chacune de ces deux théories, supposée isolée, sera évidemment très augmentée si toutes deux conduisent aux mêmes résultats, cela par des chemins qui diffèrent si profondément, non seulement quant aux raisonnements et aux techniques expérimentales, mais quant aux réalités physiques étudiées (viscosité des gaz d'une part, et d'autre part répartition des émulsions). La théorie cinétique des gaz se trouvera ainsi consolidée et la croyance aux molécules sera bien difficile à éviter.

Or, précisément, il y a concordance aussi complète qu'on pouvait l'espérer. J'ai, en effet, obtenu, pour le « Nombre d'Avogadro » N, suivant les émulsions, des valeurs qui se placent entre 65.1022 et 72.1022. Mes mesures les plus sûres donnent 68.1022. Pour l'émulsion correspondante[1], l'élévation qui doublait la raréfaction était d'environ 6 microns, soit 1 milliard de fois plus faible que celle (6 kilomètres) qui double la raréfaction dans l’air à 0°.

Pour comprendre à quel point est significative la concordance avec le nombre 60.1022 obtenu (sans précision) par la théorie cinétique, il faut songer qu'avant l'expérience on n'eût certainement pas osé affirmer que la chute de concentration ne serait pas négligeable sur la faible hauteur de quelques microns, ce qui eût donné pour N une valeur beaucoup plus petite, et que par contre on n'eût pas davantage osé affirmer que les grains ne se ressembleraient pas tous au voisinage immédiat du fond, ce qui eût indiqué pour N une valeur beaucoup plus grande.

En ce qui regarde la précision de cette détermination de N, ce sera celle des expériences ; aujourd’hui de quelques centièmes, elle atteindra le millième quand on le voudra[2]. Il n'en est pas de même pour la valeur que tire actuellement de la

  1. Sphérules de gomme-gutte de diamètre 0m74 ; 17.000 grains comptés à des niveaux différents.
  2. Question de temps et d'argent : une excellente machine centrifuge serait nécessaire.